Certains des lecteurs assidus de Build Green le savent, je vis à la campagne depuis presque toujours (plus de 40 ans) et ces dernières années, il m’arrive assez peu souvent de me rendre en agglomération. Or, suite à quelques échanges ici ou sur les réseaux sociaux, j’ai constaté qu’il y avait beaucoup d’a priori sur la vie loin de la ville. Je vais donc essayer de casser ici quelques mythes et d’expliquer ci-dessous qu’au 21ème siècle il est possible de se passer des commodités urbaines tout en vivant dans un grand confort. Tout ceci est basé sur mon expérience personnelle et doit donc être relativisé en fonction des régions, et même plus précisément, des collectivités dans lesquelles on se trouve.
Le contexte
Par ailleurs, dans le cadre de mon travail, j’ai été en relation avec de nombreux pays : USA, Japon, Lituanie, Lettonie, Maroc, Turquie, Cameroun et beaucoup Madagascar.
Difficile donc de me qualifier d’ours de la montagne qui n’a jamais rien connu d’autre chose que sa tanière au fond des bois ! Par contre, on peut me targuer d’assez bien connaître la France, pour l’avoir traversé en long, en large et en travers, sauf la montagne en hiver.
Je vis aujourd’hui avec ma compagne et mes deux filles (dont une étudiante à Rennes) dans une petite maison de 85m² sur 2 niveaux, avec un bureau (aux matériaux biosourcés) réalisé dans un petit jardin, située dans un village de 1 500 âmes, à moins de 20 minutes de la gare d’Angers (FR-49) où les seules commodités sont les cars scolaire et départementaux, une boulangerie, un bar, une guinguette, une boutique cadeau, des artisans (tout corps de métier), un médecin, 2 infirmières, une psychologue et 3 kinés ! Petite ville intégrée à une commune nouvelle de 10 000 habitants (regroupant 10 communes) et à une intercommunalité de 17 communes (près de 20 000 villageois). Précisions qui ont leur importance dans l’argumentation qui va suivre. Je précise enfin que je suis négociateur immobilier dans mon secteur depuis 3 ans. Ce qui me donne aussi une certaine légitimité dans la connaissance démographique, économique, sociale et immobilière de ma région.
Le logement
C’est moins cher que la plupart des périphéries des grandes agglomérations mais pour des primo-accédants, smicards, difficile de trouver leur bonheur. Beaucoup de biens ayant déjà été rénovés dans ce secteur, il devient compliqué d’acquérir une maison dans des budgets inférieurs à 250 000€.
Il est possible de trouver une maison en location (HLM ou privé) ou plus rarement un appartement dans le secteur à des prix raisonnables. Mais là aussi le boom de l’immobilier a fait des ravages.
Il n’en reste pas moins que je vis dans une maison, certes modeste, dans un petit village très tranquille, non loin d’une grande ville, où il est possible de faire plusieurs kilomètres à pied entre bois, vignes et campagnes (avec des vues splendides) le tout dans un rayon de moins d’un kilomètre (confinement obligeait !) en croisant peu de monde, si ce n’est quelques lapins, chevaux ou chevreuils ! Les promenades en cheval, vélo ou VTT y sont aussi très agréables, tout au long de la Loire, par exemple.
A savoir : acheter à la campagne ne veut pas forcément dire faire une bonne affaire.
L’idéal est de pouvoir acheter un bien à rénover avec des travaux de 1er et 2nd œuvre. A éviter, sur les maisons anciennes, les murs et charpentes pourries ou les toitures amiantées. Plus vous serez proche d’une grande agglomération, plus il sera difficile de trouver ce type de bien.
Par contre, vous allez trouver sur le marché dans les années à venir de nombreux pavillons des années 1970 et 80, à l’efficacité énergétique contestable (DPE E à G), à la distribution des pièces peu souvent idéale, mais avec de belles surfaces de terrain. La côte de ces maisons peut avoir injustement explosé selon les secteurs.
Le travail
Ici, les emplois sont soit agricoles (dans les vignes) soit en collectivité et une petite part en industrie ou en distribution. On recherche beaucoup de main d’œuvre dans les services à la personne, chez les artisans (du bâtiment et alimentaire) et dans la distribution.
A savoir : il est vrai qu’il y a moins besoin d’emplois de Bac + 5 à la campagne, à part, nous le verrons plus, pour les métiers de la santé, très demandés. On y recherche toutefois plus de manuels. Mais pour les entrepreneurs dans l’âme, il ne manque pas d’opportunités : artisanat du bâtiment ou de l’alimentaire, services à la personne, restauration, garage, … Et il n’est pas toujours utile d’avoir une vitrine, le service à domicile est très prisé. L’agriculture biologique est aussi très demandée. On y travaille beaucoup plus en réseau, en mutualisant les locaux, le personnel ou le matériel. Plutôt que chercher à innover, il est préférable de s’inspirer des pratiques (et métiers) parfois ancestrales !
Les transports
Des compagnies de taxi-ambulance font le lien avec les centres médicaux angevins.
A savoir : le covoiturage est une pratique très utilisée en campagne, bien avant les applications stars. Que ce soit pour l’école ou le travail, on a appris à s’organiser. C’est souvent au détriment du train ou du car, mais qui tendent à revenir en force dans certaines régions. Si les chemins de balade sont nombreux en campagne, certaines collectivités commencent à réfléchir à l’aménagement de voies cyclables pour accompagner le développement du vélo (notamment électrique).
L’alimentation
De l’autonomie en eau : disposer d’une maison avec un jardin nécessite de l’eau. Certains disposent d’un puits artésien ou en pierre, d’autres récupèrent les eaux de pluie de toiture dans des citernes ou des cuves enterrées. Cette eau est filtrée et utilisée pour le jardin mais aussi pour le WC, le lave-linge ou la douche. Dans certaines régions la qualité de l’eau du robinet peut laisser à désirer à cause d’industries peu regardantes sur leurs rejets ou de la surutilisation de pesticides ou nitrates. Ce problème touche toutefois autant les citadins !
A savoir : il est possible de devenir autonome en alimentation à la campagne. Mais cela demande du temps, celui qu’on dispose quand on sort peu et avec un travail compatible. En ville, même si les jardins partagés, en terrasse ou balcon se développent, c’est beaucoup plus compliqué ! Et lorsque qu’une crise majeure (pandémie ou guerre par exemple) survient, l’auto-suffisance à l’échelle d’une ville n’est absolument pas possible.
Les commerces
Se trouver loin des commerces est très bénéfique à la planète : on consomme moins inutilement et donc moins tentés par l’achat impulsif.
Pour ma part, je fais les boutiques de vêtements une à deux fois par an, le plus souvent pendant la période des soldes, pour renouveler l’indispensable de ma garde-robe, dont les chaussures. J’achète de temps à autre des sous-vêtements, vêtements de nuit ou de jardin sur internet ou en local. La mode est le dernier de mes soucis !
En ce qui concerne le bricolage, les matériaux, les outils et divers accessoires, je trouve presque tout dans un magasin situé à quelques kilomètres de la maison. Si je ne trouve pas dans l’urgence, je suis à 20 minutes d’une grande surface du bricolage (avec drive). Pour tout ce qui concerne l’électroménager, l’informatique, cela fait déjà très longtemps que je commande sur le net, mais j’ai tendance à revenir de plus en plus vers les magasins locaux pour 2 raisons : le service après-vente et préserver leur pérennité. A ce sujet, j’ai changé ces 3 dernières années tous mes équipements (TV, frigo, lave-linge, lave-vaisselle, cuisinière) non pas pour être à la mode, mais plutôt parce qu’ils étaient en fin de vie, et surtout pour réduire mes consommations d’énergie. J’ai évité les appareils premiers prix, trop souvent synonyme d’obsolescence programmée. L’objectif étant de garder le plus longtemps possible ces équipements.
A savoir : le trafic de la Poste a considérablement diminué ces 10 dernières années. Toutefois, les facteurs continuent leurs tournées. Il leur faut donc compenser ce manque à gagner et leur impact écologique (tournées à vide). La distribution de colis en milieu rural est donc aussi le moyen de garder notre service public efficace et rentable. La Poste propose aussi d’autres services pour permettre notamment aux plus anciens et aux moins mobiles de rester chez eux.
Les services et artisans
A savoir : si on manque souvent de services dans certaines zones rurales, c’est aussi un espoir pour les néo-ruraux de trouver des débouchés d’activités locales. Le mieux est de commencer multi-tâches au démarrage de son entreprise puis se spécialiser. Mais il est évident que plus la zone est dépeuplée moins le potentiel de clients est là. Faites une bonne étude de marché de votre secteur avant de vous lancer !
L’éducation
Pour ce qui est des études supérieures, quel que soit l’endroit où on se trouve (à part quelques grandes agglomérations et filières très classiques), l’étudiant aura souvent la nécessité de déménager dans d’autres villes pour trouver la spécialité qui l’intéresse.
A savoir : si vous faites le choix d’une vie modeste à la campagne, il y a quelques facilités (bourses, logements étudiants) pour accompagner vos enfants dans les études supérieures, quel que soit l’endroit où ils veulent aller. Pour notre part, nous avons fait le choix d’avoir seulement 2 enfants avec un écart important, pour permettre de les aider plus longtemps dans leurs études. Cependant, de plus en plus de français décident de ne pas avoir d’enfant, estimant qu’ils seront une charge supplémentaire pour la planète. Pour ma génération, il était important de constituer une famille pour éviter le vieillissement de la population et donc le surcoût des retraites !
La santé
A savoir : que ce soit au niveau local ou national, les politiques réfléchissent à des stratégies d’accompagnement des professionnels de santé pour leur installation en milieu rural. Certaines collectivités se sont engagées dans ce sens en créant des maisons de santé ou en apportant une aide technique et financière aux jeunes candidats.
Internet
A savoir : selon les négociations faites entre les collectivités et les opérateurs, certains départements n’ont toujours pas d’accord avec les opérateurs historiques d’internet. C’est un peu problématique quand on a des engagements ou des abonnements spécifiques. C’est juste une question de temps. Cela laisse la place à des opérateurs alternatifs mais aux services souvent plus limités.
La Culture
Et puis, on a tout de même des bibliothèques, des salles de spectacles, des chateaux, de belles fêtes traditionnelles, et ce que nous offre de plus beau la nature : ses rivières, ses montagnes, ses forêts et sa biodiversité !
Sinon, depuis 20 ans, Internet nous ouvre, où que l’on soit, toutes les portes de la culture !
A savoir : il n’y aura pas meilleur lien social que de participer à des fêtes locales. Les rencontres y sont souvent moins iconoclastes que les événements urbains où la tradition s’est noyée dans les fastes immergés de la diversité culturelle. On essaie d’y préserver les métiers et les techniques qui ont fait leur preuve, dans un climat d’entraide, sans arrière-pensée lucrative (quoique !).
L’environnement
Par contre, se trouver à proximité de zones à agriculture intensive ou de régions viticoles n’est pas vraiment la meilleure solution pour obtenir des conditions sanitaires idéales. Des progrès (contraints légalement) se profilent toutefois car ces exploitants agricoles vont devoir diminuer fortement les quantités de pesticides, nitrates et autres intrants dans les années à venir. Il faudra encore quelque temps avant de retrouver un air sain, mais certainement beaucoup moins que pour rendre l’air des agglomérations respirable.
A savoir : ce qui est effrayant dans l’analyse de l’air des villes ce n’est pas seulement sa qualité, mais surtout la quantité de polluants présents, avec :
- des polluants primaires (oxydes de carbone, oxydes de soufre, oxydes d’azote, hydrocarbures légers, composés organiques volatils (COV), particules (PM10 et PM2.5) et métaux lourds (plomb, mercure, cadmium…).
- des particules secondaires comme l’ozone, le dioxyde d’azote ou les polluants photochimiques (les PAN ou nitrates de peroxyacétyle, aldéhydes, cétones…)
Et il va être beaucoup plus compliqué pour les villes de faire disparaître ces polluants dont les origines sont multiples et tant leur concentration est forte, à l’extérieur comme à l’intérieur des logements.
En conclusion
Le choix de son lieu de vie ne doit pas s’arrêter à un seul critère, celui de l’environnement par exemple. Il doit être fonction de votre capacité à vous adapter à celui-ci. Si vous ne pouvez pas vous passer de cinéma ou de lèche vitrine, la campagne n’est certainement pas faite pour vous. Mais on peut tout à fait se mater un film récent sur grand écran tout en faisant ses courses sur internet au fin fond d’un hameau de la Corrèze !
La tranquillité ou les commodités
Faire le choix de la campagne, c’est souvent, mais pas toujours, bénéficier de la tranquillité de son environnement, d’un logement plus spacieux avec un jardin pour une terrasse et un potager, d’un parking privé, d’un garage pour stocker et bricoler. Un médicament naturel contre le stress !
Faire le choix de la ville, c’est profiter d’une variété de commerces de proximité, de nombreux loisirs à tout moment, donc au final, se laisser tenter par un consumérisme pas très bénéfique à nos émissions de GES !
Deux points sont à bien anticiper avant de vous lancer : le travail et la santé.
Pour le travail, il n’en manque pas tant que ça en zone rurale, il faudra juste être plus courageux, inventif et certainement manuel. Pour la santé, les centenaires sont de plus en plus nombreux dans les villages et certains vivent encore très bien chez eux. Les maisons de retraites y sont moins chères et de tout aussi bonne qualité qu’en ville. En cas de santé fragile, il vaudra mieux privilégier la proximité de villes moyennes (+ 50 000 habitants) où les structures et les spécialités y sont plus nombreuses.
J’insiste sur le fait que ceci est un ressenti personnel, suite à une (longue) expérience de la vie en milieu rural et dans un contexte bien particulier expliqué en introduction. N’hésitez pas à faire part de votre avis et de votre expérience en commentaire…
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