En comparaison aux solutions constructives aujourd’hui couramment utilisées dans le secteur du bâtiment, la terre et les matériaux biosourcés présentent la capacité de s’inscrire dans des schémas exceptionnellement vertueux d’un point de vue environnemental. Par ailleurs, leurs caractéristiques techniques favorisent le confort à l‘intérieur des bâtiments. Ainsi, la construction alliant terre crue et biosourcés a su se développer au travers des époques et des technologies. Cet article présente, de manière succincte, en quoi la terre et les matériaux biosourcés sont complémentaires et comment les associer permet de décupler ces intérêts.
Mixité des matériaux & Performance environnementale
Pour limiter l’empreinte environnementale d’un bâtiment, les matériaux de construction intégrés doivent remplir à minima les deux conditions suivantes :
- Assurer durablement la(les) fonction(s) spécifique(s) pour la(es)quelle(s) on les intègre :
Par exemple, stabiliser le bâtiment, isoler les parois, assurer l’étanchéité à l’air ou à l’eau, permettre les transferts de vapeur d’eau, retarder les transferts de chaleur d’un côté à l’autre de la paroi, protéger une paroi des intempéries, habiller un sol ou un mur… de sorte que le bâtiment demeure performant et sain et que le confort à l’intérieur de celui-ci soit garanti de façon pérenne ;
- Emettre le moins possible d’émissions de Gaz à Effet de Serre (GES) durant leur cycle de vie :
Pour cela on privilégiera les matériaux locaux (réduction du transport), et peu transformés (réduction de l’énergie consommée à la fabrication et en fin de vie)
Les matériaux performants d’un point de vue environnemental vont donc logiquement différer selon les spécificités du projet et du site sur lequel il est implanté.
De quels matériaux parle- t-on ?
- Les moins transformés possible : le bois d’œuvre, la construction en terre (briques de terre crue, pisé, enduit, etc.), les isolants biosourcés (en particulier ceux en vrac), les bétons biosourcés (granulat végétal associé à de la terre notamment), la construction paille…
- Les plus locaux possibles : terre, bois, chanvre, laine de mouton, lin, roseau, pailles et balles de céréales, coton ou papier recyclés… les filières locales et les gisements varient d’une région à l’autre.
Note : bien que non développées dans cet article, d’autres associations avec des matériaux tels que la pierre naturelle ou ceux issus du réemploi par exemple, peuvent également permettre de limiter l’empreinte environnementale du bâtiment.
Associer les matériaux pour optimiser la performance environnementale globale du bâtiment
Associer les matériaux biosourcés (y compris le bois d’œuvre) et la terre crue dans un projet de construction ou de rénovation permet de faciliter l’approvisionnement local, et de mieux répondre aux grands défis environnementaux :
L’urgence climatique : le secteur du bâtiment est responsable de 30% des émissions de CO2
Les matériaux intégrés dans les bâtiments sont les principaux responsables des émissions de GES du secteur. Au-delà d’intégrer des matériaux durables, peu voire pas transformés et locaux, il est aussi opportun du point de vue de l’urgence climatique d’intégrer des matériaux qui stockent du carbone, à savoir les matériaux biosourcés. En effet, le CO2 stocké dans la plante (grâce à la photosynthèse) ne contribue pas au réchauffement climatique durant toute la période pendant laquelle il est « stocké » dans le matériau.
Le stockage carbone confère donc aux matériaux biosourcés la capacité de répondre à l’urgence climatique. La terre crue, qui est une matière constituée d’argile et de limon, ne stocke pas de carbone. Néanmoins son énergie grise est quasiment nulle : sa préparation pour le bâtiment ne nécessite que très peu d’énergie fossile. En conséquence, les émissions de GES des solutions à base de terre crue sont particulièrement faibles.
L’épuisement des ressources naturelles : 38,8% des ressources naturelles mondiales exploitées sont destinées au secteur du bâtiment
Les matériaux biosourcés sont issus de biomasse, c’est-à-dire de ressources dites renouvelables. En France, la biomasse est suffisamment disponible pour intégrer une large quantité de matière biosourcée dans les bâtiments. Aucune concurrence avec les autres filières (notamment alimentaires) n’est à craindre dès lors que ce sont des co-produits (déchets issus des transformations de culture) qui sont utilisés pour le bâtiment. Le recours à des matériaux biosourcés peu transformés et locaux favorise par ailleurs une certaine transparence sur la composition du matériau (est-il 100% biosourcé ?) et l’origine des matières premières qui le composent (sont-elles issues de cultures annuelles ou, dans le cas du bois, d’une forêt gérée durablement ?).
Bien qu’elle ne soit pas un matériau renouvelable, la terre crue répond également bien à cet enjeu. Elle est largement disponible en France. Pour cause, c’est souvent un déchet non valorisé, issu de grands chantiers d’infrastructures. Pour donner un exemple, les volumes des déblais en Ile-de-France pour les vingt ans à venir ont été estimés à 400 millions de tonnes.
La production de déchets : le secteur du bâtiment génère en France 46 millions de tonnes par an
Pour limiter la production de déchets liés au bâtiment, il faut pouvoir facilement valoriser les matériaux qui le composent en fin de vie (sans que ce processus soit par ailleurs trop énergivore). Le matériau terre est exemplaire sur ce point : durci par séchage et non par prise hydraulique, il est réparable et recyclable à l’infini, sans pour autant générer d’émissions GES. Concernant les matériaux biosourcés, les filières de valorisation en fin de vie n’existent pas encore : le recyclage, le compostage, le réemploi et la méthanisation constituent néanmoins de possibles pistes de valorisation. Il est par ailleurs évident que moins le matériau sera transformé, plus il sera facilement valorisable en fin de vie.
La durabilité des matériaux permet également de réduire les déchets. Des détériorations dans les bâtiments en béton sont souvent constatées avant les 50 ans règlementaires. De ce point de vue, la terre possède une bonne durabilité si on respecte certaines conditions : construction avec des matériaux de qualité (qualité de la terre, de sa structure, texture et porosité), et mis en œuvre selon les règles de l’art spécifiques au matériau terre, assurant notamment sa protection à l’eau. Pour certains matériaux biosourcés, le retour d’expérience est plus important que pour les matériaux conventionnels, avec peu de dégradations constatées, parfois après plus de 100 ans (paille, ouate…). La qualité de leur mise en œuvre est également essentielle pour leur pérennité.
Enfin, la rénovation du bâti existant constitue un sujet majeur et peut potentiellement répondre simultanément à ces trois enjeux si elle est faite dans une logique de réduction des constructions neuves – notamment en France où le bâti ancien représente plus de 30% des constructions. Sur ce sujet, la terre crue comme les matériaux biosourcés sont adaptés à la rénovation du bâti ancien, souvent en pierre : la première apporte de l’inertie thermique sous forme massive et régule l’humidité de l’air en enduit. Les matériaux biosourcés respectent aussi mieux les qualités et l’aspect de ces bâtiments que les matériaux dits conventionnels, grâce à leur perméabilité et aux transferts d’humidité qu’ils permettent, évitant ainsi des pathologies et des sinistres souvent constatés suite à une rénovation intégrant des matériaux dits conventionnels.
Mixité terre/biosourcés : Performances technique et environnementale
Spécificités des matériaux terre et biosourcés :
La terre crue n’est pas un matériau isolant, néanmoins ses propriétés thermo-physiques permettent de réguler l’humidité et la température à l’intérieur des bâtiments. D’une part, la terre crue récupère l’excédent de vapeur d’eau produite par les occupants et la restitue lorsque que l’humidité relative de la pièce diminue.
D’autre part, son fort potentiel en matière de déphasage thermique (capacité d’un matériau ou d’une paroi à retarder les transferts de chaleur d’un côté à l’autre) et d’inertie thermique (capacité du matériau à stocker de la chaleur, puis à la restituer progressivement lorsque la température de l’air environnant diminue par rapport à celle de la surface du matériau) contribue au confort thermique des occupants hiver comme été. Des précautions sont toutefois à prendre sur la mise en œuvre de la terre crue notamment pour la protéger de l’eau et des remontées capillaires.
Les performances des matériaux biosourcés, issus de la biomasse végétale ou animale, sont reconnues et plébiscitées dans les projets de construction contemporains. On trouve des matériaux biosourcés du gros œuvre jusqu’aux finitions. Selon la nature des matières premières, les biosourcés contribuent plus ou moins au confort thermique des bâtiments, notamment en isolant thermique pour le confort l’hiver.
Les biosourcés sont intéressants en matière de déphasage thermique et de chaleur spécifique (capacité du matériau à emmagasiner la chaleur par rapport à son poids) – ces caractéristiques peuvent participer au confort d’été. Par ailleurs, les biosourcés assurent un complément de confort acoustique. Du point de vue de la qualité de l’air intérieur, ils sont avantageux car peu émissifs en composés organiques volatiles (COV) et jouent un rôle de régulateur d’humidité (particulièrement pour certaines fibres telles que le chanvre).
La complémentarité entre terre et biosourcés se retrouve dans des solutions de composition des murs, d’isolation et de finition. L’apport de fibres végétales dans la terre crue assure de nombreuses fonctions : alléger la terre, réduire les fissures de la terre lors du séchage, apporter de l’isolation thermique, etc. De même, ajouter de la terre dans une construction biosourcée permet d’apporter de l’inertie dans le bâtiment.
La mixité terre/biosourcés dans diverses techniques de construction :
Dans les constructions ancestrales, la terre et les fibres étaient mélangées afin de réaliser les murs. C’est notamment le cas des techniques de construction en bauge et torchis. Dans le cas de la bauge, des mottes de terres fines amandées de fibres végétales (paille, foin, jonc, crin, …) sont entassées afin de réaliser les murs. La construction en torchis est composée d’une ossature en bois subdivisée avec une structure plus fine (latte de bois, corde ou fibre végétale) dans laquelle un mélange de terre fine argileuse et fibre végétale (orge, seigle, blé, lin, …) est appliqué en remplissage.
Une autre solution de construction en remplissage d’ossature, plus contemporaine, est la technique de la terre allégée. Il s’agit d’un mélange de barbotine de terre avec des granulats végétaux, des tiges (paille) ou des fibres végétales. La présence plus importante de matière végétale apporte du confort thermique dans la construction.
Le mixte terre/biosourcés dans les solutions préfabriquées :
Façonnés à la main ou dans des coffrages en bois, les adobes sont des briques composées de terres fines et de fibres végétales (paille hachée, etc.) ou animales. Ces éléments préfabriqués sont manu transportables et peuvent être utilisées pour réaliser des cloisons. Des solutions contemporaines intégrant cette complémentarité terre/biosourcé existent également dans le cloisonnement : c’est le cas des panneaux terre préfabriqués avec du roseau, utilisable en remplacement de placo-plâtre en intérieur.
La terre en finition grâce au mélange intelligent avec des fibres :
Les enduits de terre présentent plusieurs avantages : ils assurent l’étanchéité à l’air, la protection au feu ainsi que le confort thermique. La terre peut être utilisée sur des supports biosourcés en enduit intérieur et extérieur, avec différents rendus esthétiques (enduits terre sur bottes de paille, sur panneau de roseau, etc.).
Dans certains cas, des biosourcés sont utilisés en armature d’enduit (nattes de roseaux, toile de jute, fibre, trame de lin) pour renforcer les enduits et éviter des fissures. La terre, liant des enduits, est amendée de fibres (copeaux de bois, fibre de paille, copeaux de lin, fibres cellulosiques, etc.) pour apporter un complément d’isolation ou limiter les fissures lors du séchage. Lors de la réalisation des enduits, des précautions sont à réaliser principalement en extérieur.
Pour aller plus loin :
- Conférence Romain Anger : La Terre et les fibres végétales : matériaux de construction du futur, 2015. Disponible : https://www.youtube.com/watch?v=WJIJb625_O4
- Cahiers techniques du bâtiment, THERMIQUE La terre crue améliore le confort hygrothermique, publié le 01/03/2010. Disponible : https://www.cahiers-techniques-batiment.fr/article/2-thermique-la-terre-crue-ameliore-le-confort-hygrothermique.27319
- Batirama, Terre crue : 4 techniques à redécouvrir, 13/03/2008. Disponible : https://www.batirama.com/article/169-terre-crue-4-techniques-a-redecouvrir.html
- Déchets, chiffres-clés, ADEME, avril 2019
- BIOMOOC Construire en terre, 2020
Sources :
1- si tous les bâtiments construits annuellement en France intégraient 200 kg biosourcé par m2 de SP, on consommerait 20% de la biomasse disponible sur le territoire (source Karibati). Autre chiffre parlant, seule 5% de la paille disponible suffirait à isoler 500 000 logements (source RFCP).
2- Déchets, chiffres-clés 2018, Ademe
3- L’utilisation moderne des armatures en acier que l’on dissimule dans le béton impacte à terme – en rouillant – la durabilité des ouvrages.