Quelques 230 millions de tonnes de déchets, c’est ce que génère, chaque année, le milieu du BTP. Un chiffre qui lui vaut la médaille de “premier polluant”, tous secteurs confondus. A lui seul, il représente quasiment 70% des déchets produits en France et, dans le bâtiment, plus de 90 % de ces déchets proviennent de la déconstruction et de la réhabilitation. Joli score !
Depuis 2020, la loi AGEC (Anti Gaspi pour une Économie Circulaire) tente d’endiguer ce phénomène en réglementant le traitement des déchets de démolition. Objectif visé : valoriser 70 % de ces déchets. Dans les faits, cela signifie que chaque commanditaire de travaux est désormais responsable de la prévention et de la gestion des déchets de ses chantiers. Et qu’il se doit d’étudier les possibilités de réemploi, de valorisation et de recyclage de ceux-ci, pour les intégrer “au maximum” à l’économie circulaire des matériaux. Pour l’instant les résultats restent “perfectibles”.
En mai 2023 [Edit 22/2022], la loi Agec soumettra, en plus, les produits et matériaux de construction au principe de Responsabilité Élargie du Producteur REP également appelé “principe du pollueur-payeur”. Les contraintes devraient donc à la fois s’élargir et se durcir, pour une meilleure efficacité de résultat. Il est trop tôt pour en juger mais c’est une occasion de regarder le dispositif de plus près et surtout, de se questionner sur la pertinence du procédé.
Pour commencer, il est peut-être utile de revenir sur les définitions des termes réemploi, recyclage et valorisation.
Réemploi, réutilisation, recyclage, quelles différences ?
Par réemploi, on entend la ré-utilisation d’un bien pour un usage identique à son usage initial. Cela peut concerner les châssis, le bois de coffrage, les menuiseries par exemple, qu’ils aient déjà eu une première vie ou qu’ils fassent partie de retours chantiers, neufs et non utilisés.
La réutilisation permet à un déchet d’être récupéré pour un usage différent de celui pour lequel il a été initialement conçu. Cela peut être d’anciennes fenêtres qui seront transformées en serre, des fins de parquets qui feront le plan de travail dans la cuisine…
Enfin, le recyclage est l’opération par laquelle la matière première d’un déchet est utilisée pour fabriquer un nouveau produit, après transformation. C’est le cas du métisse, issu de la transformation des stocks de vieux vêtements, des granulats qui sont réintroduits dans du béton, de l’OSB fabriqué avec des déchets de bois…
De la théorie à la pratique
“Un jour j’irai vivre en théorie, car en théorie tout se passe bien”, Pierre Desproges
En théorie, l’idée de réintégrer le maximum de déchets de construction et de démolition dans la chaîne de construction est évidemment positive. Cela :
- évite de refabriquer ce qui existe déjà, ralentissant l’effet “épuisement des matières premières”,
- permet de réduire le bilan carbone, notamment celui lié au transport de ces mêmes matériaux, parfois d’un continent à l’autre,
- allège l’encombrement inutile des déchèteries,
- crée des emplois locaux, ceux liés à la déconstruction fine sur chantiers, à la revalorisation des matériaux démontés (réparation, remise aux normes, etc.).
Cependant, il ne s’agit pas simplement de récupérer 6 fenêtres sur un chantier et de les réutiliser immédiatement sur un autre, sauf si nous parlons de l’autoconstructeur qui rafistole sa maison. Mais s’il s’agit de chantiers professionnels, avec des contraintes de temps, volume, assurances, etc., les choses se compliquent un peu.
Recyclage et gain de temps, est-ce bien compatible ?
Le premier problème se pose dès la conception du projet. Reprenons l’exemple des fenêtres : s’il souhaite suivre l’Agec pour ce lot, il ne sera plus question, pour le bureau d’étude, de dessiner son projet en imaginant les cotes idéales puis de les commander à un fabricant mais, à l’inverse, de concevoir ses plans sur la base du “gisement” fenêtres à sa disposition. Pour ce faire, il lui faudra contacter une plateforme de matériaux de réemploi. Idéalement, elle sera située à côté du chantier et elle sera capable de fournir toutes les menuiseries qui lui seront nécessaires. Sinon il lui faudra jongler entre différents fournisseurs ce qui commence à compliquer l’affaire. Et là, nous ne parlons que des menuiseries !
Pour une PME qui construit des maisons individuelles à l’unité, le principe peut être envisageable. Mais pour les très gros maîtres d’œuvres, ceux qui couvrent de gros chantiers, avec des bâtiments en série par exemple, l’affaire se corse sérieusement ! Dessiner un lotissement avec 100 baies vitrées d’un modèle A, 50 autres d’un modèle B, 70 d’un modèle C, chacune avec des finitions différentes, c’est une certaine gymnastique, surtout si c’est pour un même modèle de maison qui jusqu’alors, se “démoulait” presque à la chaîne. Sans parler des différences de vitrages, de fabricants, peut-être de types de pose, de fixation de poignées, ou de la suppression d’une référence alors que le projet a évolué et qu’il faudrait encore 40 baies, idéalement identiques aux premières ! En terme de gain de temps et indirectement d’argent, il est possible que cela coince.
Et là, nous ne parlons que de stock de “neuf non utilisé”, constitué des retours chantiers, des fins de séries de fabricants … Ceux-là a priori sont au moins aux dernières normes techniques. Mais pas toujours. Les normes évoluent vite…
Assurance, responsabilité et seconde vie des matériaux. Comment ça fonctionne ?
Vient ensuite la question de l’assurance. Qui garantit le matériel ? S’il est neuf, c’est a priori le fabricant, mais le plus sûr est de vérifier, d’autant qu’en cas de problème, il vous demandera peut-être de vous justifier sur les conditions de stockage sur le premier chantier (ce que vous ignorerez probablement), sur le transport d’un site à l’autre et des conditions de celui-ci, etc. Des questions d’assureur, quoi !
S’il s’agit de matériaux de recyclage, d’autres questions se poseront avant ! Ce qui n’excluera pas le point assurance d’ailleurs, mais un problème après l’autre….
Sur un chantier, on peut récupérer des tuiles, des fenêtres, des balustrades, du carrelage, des tuyaux, des câbles, des poutres, des éléments de plomberie et beaucoup d’autres choses encore. Certaines sont encore en très bon état, d’autres méritent d’être restaurées. Dans les deux cas, elles nécessitent une intervention avant d’être revendues, ne serait-ce que pour estimer leur état, via un diagnostic PEMD . Là se posent deux nouvelles questions :
- Qui sera responsable de la durabilité dudit matériau et de ses performances, une fois qu’il sera revendu, qui plus est s’il est destiné à la construction d’un bâtiment neuf, soumis à décennale ?
- Qu’en sera-t-il de son coût et de l’économie réelle par rapport à un produit neuf ?
Côté assurance, les choses bougent, même si elles ne sont pas encore bordées. Comme tous les acteurs du BTP, les assureurs sont eux aussi engagés dans une démarche RSE (Responsabilité sociétale et environnementale des entreprises). Ils se doivent d’encourager et d’intégrer les nouvelles approches de réemploi et de recyclage de matériaux dans leurs contrats. Pour l’instant, des réflexions sont en cours à la FFA (Fédération Française des Assurances). En attendant qu’elles aboutissent et que soient créés des référentiels précis, le plus sage est de contacter votre propre assureur, d’être clair avec lui et de lui demander une réponse tout aussi claire concernant l’utilisation des matériaux concernés.
Réemploi et recyclage, est-ce vraiment si pertinent ?
En termes de coûts, s’il est presque évident qu’un article issu du réemploi reviendra moins cher à l’achat que le même, commandé au fabricant, cette réalité est moins certaine lorsqu’il s’agit de recyclage. En effet, la remise en état et parfois aux normes techniques ou sanitaires du jour a un coût qui, ajouté à celui du démontage sur chantier, du tri, du contrôle, rend parfois le prix du recyclé supérieur au neuf.
En revanche, il est vrai qu’en termes de bilan carbone, le résultat peut être intéressant, et plus encore lorsque les matériaux de démolition réutilisables peuvent rester sur le site où ils ont été récupérés, afin d’être réintégrés au chantier de construction qui suivra. Un bel exemple ici en Allemagne.
Mais recyclage et bilan carbone intéressant ont également leurs exceptions. C’est le cas pour certains isolants, la laine de verre ou le polyuréthane par exemple, recyclables oui, en partie, mais aux prix de tant d’énergie pour le faire qu’on peut se demander quel est le sens, si ce n’est celui d’apposer l’étiquette “recyclable” sur un produit qui ne devrait pas l’être..
Enfin, le recyclage est intéressant en termes de création d’emplois. Mais faire ce choix éthique plutôt que celui du porte monnaie demande une réflexion et un engagement que tout le monde ne fera pas spontanément. C’est là que l’État peut intervenir, s’il veut vraiment encourager la démarche…
Et si l’actualité était avec nous ?
Et puis il y a l’actualité, celle qui a mis la plupart des constructeurs face à une pénurie de matériaux qui continue de compliquer la bonne exécution de nombreux chantiers. Là, réemploi et recyclage ont une vraie carte à jouer puisque les matériaux existent déjà et qu’ils sont déjà sur notre territoire, prêts ou presque à être réemployés.
Pour l’instant, le secteur manque encore d’une organisation vraiment efficace. Celle qui :
- permettrait de pointer sur chaque futur chantier de démolition, bien en amont de celle-ci, tout ce qui peut y être récupéré, lot par lot, filiale par filiale,
- laisserait le temps aux plateformes de récupération-redistribution de s’organiser au mieux pour le démontage et la récupération dans les meilleures conditions possibles, pour le moins de pertes possibles,
- encouragerait la création de listes détaillées et facilement accessibles aux constructeurs afin qu’ils puissent se positionner de façon sûre sur les lots et construire leurs projets avec la certitude de pouvoir compter sur la disponibilité des gisements.
Les choses avancent. Bien entendu c’est complexe. Bien sûr qu’il y a des résistances. Mais la période est propice aux changements. Et puis, le secteur de l’automobile a ouvert la voie dans ce même domaine de la récupération-réemploi lorsqu’il s’agit de réparations. N’est-ce pas la preuve que rien n’est impossible ? Et que le BTP pourrait lui aussi proposer tout aussi systématiquement des matériaux de réemploi dans les travaux de rénovation, accompagné par une loi dans ce sens ?
70% de déchets, nous le savons que c’est intenable. Alors, on s’y met ?
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