La maison paille, désormais on connaît. Rares sont ceux qui en ont vue “en vrai” et moins nombreux encore ceux qui y vivent ou y travaillent, mais de plus en plus en ont au moins “entendu parler”. C’est que, avec la prise de conscience de la disparition progressive des énergies fossiles et de la nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre, avec l’arrivée des normes RT 2012 et 2020, la paille a fini par attirer l’attention des politiques, des industriels et des médias.
Saine, durable, peu coûteuse, génératrice d’emplois et de développement économique local, intéressante en terme de valorisation d’un savoir-faire manuel et bien sûr, pouvant s’enorgueillir d’un bilan carbone très faible, la maison paille fut lentement reconsidérée par les consommateurs et les industriels; peu à peu associée à une image bien plus positive que celle véhiculée par l’histoire des petits cochons.
Reconnaissance des règles professionnelles
Apparue aux Etats-Unis aux 19ème siècle sous forme de construction paille autoportée, déclinée plus tard pour être intégrée à des ossatures bois, la “maison paille” ou plus précisément “maison isolée paille” s’est d’abord intégrée au paysage des habitats alternatifs souvent associés aux “trucs de hippies” et autres projets d’auto constructeurs aidés de bénévoles. La paille c’est fantastique en termes d’isolation mais, mise en place à la main, c’est long ! Et lorsqu’on paie les hommes pour ce travail chronophage, c’est cher. Très. Ou plutôt, ça l’était.
Cet essor est directement lié à la reconnaissance par la C2P (Commission Prévention Produit) des règles professionnelles de la construction paille, rédigées par le RFCP (réseau français de la construction paille). C’était en janvier 2012, une date clé pour cet isolant qui fut alors intégré aux autres techniques courantes de construction. Cette reconnaissance permit enfin de pouvoir assurer les bâtiments concernés au même titre et conditions que les constructions brique, pierre, béton et leurs isolants historiques… Ce fut le début de la démocratisation et de la professionnalisation de la filière.
Une formation officielle put alors voir le jour, la formation Propaille, obligatoire pour les architectes, artisans et bureaux d’études souhaitant avoir accès à la garantie décennale pour leurs constructions. La paille est alors entrée dans “la cour des grands” grâce à cet enseignement de 35 heures, également gage de leur bonne compréhension des propriétés, systèmes constructifs et techniques de mise en œuvre associées. Le marché a pu s’ouvrir aux commandes publiques et aux constructions plus ambitieuses, séduisant conjointement de nombreux professionnels.
De l’auto-constructeur amateur à la mécanisation en entreprise
Bien entendu, ce passage, du chantier amateur à la professionnalisation n’a pu être possible qu’avec une transformation des méthodes de mise en œuvre. Plus question de remplir les caissons à bout de bras et en hauteur, en vérifiant la météo chaque matin car qui dit paille dit pas de pluie. Ceux qui l’ont vécu comprendront !
Les ateliers de préfabrication hors site bois/bottes de paille
Des ateliers ont commencé à voir le jour sous forme professionnelle. Certains furent précurseurs dans le domaine comme par exemple Echopaille dans le Morbihan, Isopaille dans la Sarthe, Bois et Paille dans les Deux-Sèvres, Bati-Nature dans la Drôme, et d’autres encore qui, avant l’heure, avaient déjà misé sur la botte et commencé à réfléchir autrement. Les règles pro ont permis à leurs créateurs d’avancer plus sereinement sur un métier déjà maîtrisé, avec la création d’ateliers de préfabrication de murs bois remplis paille.
Livrés en kit sur chantier sous la forme de panneaux de murs isolés, contreventés, au pare-pluie déjà posé, ces blocs murs n’ont plus qu’à y être posés sur dalle et assemblés, pour une mise hors d’eau hors d’air très rapide. L’avantage, outre un surplus de mécanisation, étant de pouvoir travailler à plat plutôt qu’en hauteur et à l’abri de tout souci météorologique. Fin de la saisonnalité de la construction du mur paille.
Pour d’autres, comme Activ Paille, c’est le fourrage qui fut leur porte d’entrée. Une opportunité en entraînant une autre, l’entreprise initialement appelée “Le Petit Ballot” est passée de la fourniture du paillage pour les poulaillers familiaux à l’approvisionnement en bottes des chantiers isolation, avant de créer un partenariat industriel avec Activ Home et lancer, elle aussi, une unité de fabrication industrielle de murs bois-paille, dans les Hauts-de-France. Le début de la constitution d’un réseau sur tout le territoire français, avec déjà une 3e unité créée par Isovoo en région Bourgogne et une toute prochaine en région Auvergne-Rhône-Alpes.
Interview des responsables d’Activ’paille (Arnaud Delobel) et d’Isovoo (Jean Baptiste Plénard) lors du Forum Bois Construction à Paris en juillet 2021.
Historiquement, Easy Green a été l’un des premiers à industrialiser le process de conception de murs ossature bois remplis de paille. Sa particularité est de s’appuyer sur un réseau d’Esat (Établissement et service d’aide par le travail) pour l’assemblage du produit. Cela lui permet de répondre à tous marchés (de l’auto-construction au bâtiment professionnel) sur le territoire français.
Le mur paille préfabriqué a également attiré d’anciens fabricants de maisons ossature bois. Un passage assez logique dans la mesure où ils créaient déjà la structure destinée à être remplie.
L’atelier de préfabrication marque la fin de la saisonnalité de la construction paille
Et puis on a vu la paille séduire des constructeurs plus traditionnels, avec quelques risques de désordres possibles. Voire vécus sur certains chantiers. On ne passe pas si facilement de l’ossature métal ou de la maison parpaing/ laine de verre au bâtiment écologique isolé en bottes de paille.
C’est que ce matériau végétal nécessite une certaine compréhension, notamment pour éviter des problèmes de points de rosé, d’humidité dont les conséquences peuvent être bien plus lourdes que sur une ossature béton isolée polyuréthane ! “C’est pourquoi il y a eu une seconde puis une troisième version de la rédaction des règles professionnelles”, explique Benoit Rougelot, architecte et aussi co-président du RFCP. “Au moment de leur acceptation et pendant les quatre premières années, ces règles ont été soumises à retour d’expérience.
Chaque fois qu’un désordre nous a été remonté, on a réfléchi à comment l’éviter pour la suite”. Aujourd’hui, dans la troisième édition – avril 2018, toutes les technicités de la paille ont a priori été détaillées dans leurs moindres détails. Propriétés du matériau, systèmes de construction recommandés, choix des parements appropriés, contraintes climatiques…
Tout y est précisé pour éviter tout désordre. Reste malgré tout à s’assurer qu’elles ont réellement bien été intégrées. Et leur mise en œuvre maîtrisée aussi…
Enfin la paille est apparue sur de très gros chantiers de constructeurs jusqu’alors peu connus pour leur côté “alternatif”. On citera Eiffage Construction, maître d’œuvre pour la construction d’un lycée à Clermont Ferrand via sa filiale Savare, et qui, pour l’occasion, a construit, à une vingtaine de kilomètres du chantier, son propre atelier de préfabrication hors site de murs isolés paille. Paris Habitat participe aussi à cette évolution, notamment dans l’utilisation de la botte de paille comme isolant extérieur d’ensembles construits à une époque où l’isolation était une préoccupation mineure.
Bouygues affirme également son intérêt pour le sujet dans un article où l’entreprise narre son emploi du végétal isolant sur certains chantiers. A lire le texte attentivement, on notera cependant un engouement en demi-teinte seulement, appuyé par des arguments pas forcément tous convaincants.
Mais on dira que l’intention y est, et avec ou sans Bouygues, de plus en plus de gros projets publics de plus 10 000m2 de planchers voient le jour, signe qu’il se passe vraiment quelque chose dans le domaine. L’accroissement du nombre d’appels d’offres dans lesquels la mention “paille” ou “passif” figure en est également un indicateur positif.
La paille sans les bottes
Un autre des avantages de la professionnalisation de la construction paille c’est que soudain, budgets et programmes ont été débloqués pour améliorer les techniques d’isolation avec ce produit. Ainsi est né le programme de recherche européen Up-Straw, porté par le CNCP. Financé par Intereg Europe, le projet réunit la France, la Belgique, les Pays-Bas, l’Angleterre et l’Allemagne avec la collaboration de huit organisations partenaires, pour soutenir l’utilisation de la paille et optimiser l’isolation des bâtiments urbains et publics. Et ça marche !
Outre la botte de paille, une nouvelle technique de paille hachée insufflée est en cours de développement. Encore au stade expérimental sur une quinzaine de projets en Europe, elle est représentée en France par IELO. Techniquement, la paille est insufflée à une pression de 100 kg/m3 dans des caissons, à l’image de la mise en œuvre de la ouate de cellulose.
Le grand intérêt est que, si cet isolant reçoit un Avis Technique positif, il pourra facilement être utilisé sur du bâti existant, l’insufflation étant relativement simple une fois les caissons construits. Et bénéficier, pourquoi pas, des programmes d’aides à la rénovation comme MaPrimeRénov’.
Hors projet Up-Straw, on expérimente également l’utilisation de sortes de matelas de paille de dix centimètres d’épaisseur dont la mise en œuvre ressemblera à celle de la laine de bois.
Enfin, reste la construction paille autoportée autrement appelée Nebraska. Nécessitant le travail d’un bureau d’études expert et une plus grande technicité que l’isolation d’ossature bois, elle reste encore marginale en France où elle effraie un peu, y compris, pour l’instant, l’AQC. Mais elle a fait ses preuves aux Etats-Unis depuis plus de cent ans, elle se développe bien en Angleterre et est en train de devenir une sorte d’image de marque de la ville de Rosny sous Bois (France) où la mairie en est à son troisième bâtiment public construit en paille porteuse. Preuve que les adeptes convaincus existent.
“L’autre BTP”, là où évolue le métier de constructeur
“L’autre BTP” c’est le Bois Terre Paille. Le sigle revisité sort de la bouche de Benoit Rougelot et à l’écouter, il y fait meilleur vivre, dans cet autre monde de la construction. « Opter de travailler avec ces matériaux est souvent lié à une recherche de sens qui amène fréquemment à avoir sur le chantier, une relation particulière à soi, à l’autre et au métier”, raconte-t-il. “Sans doute d’abord parce que c’est un véritable choix au départ, une sorte de pas de côté qui a trait aux valeurs personnelles de celui qui le fait. La conséquence première c’est que les ouvriers y sont souvent plus qualifiés dans ce secteur là. Ils ont l’envie d’apprendre et sont attentifs aux finitions parce qu’ils voient l’importance de leurs gestes sur le projet global. Ce positionnement rend également les relations plus douces entre les intervenants que sur les chantiers machos-virils du béton par exemple. C’est peut-être dû au fait qu’on y note la présence de beaucoup plus de femmes que sur les chantiers traditionnels. Cette mixité explique peut-être aussi qu’on y prend plus soin de soi, de ne pas épuiser son corps par des charges trop lourdes par exemple, l’idée étant plus de durer longtemps que de se retrouver cassé à 50 ans, comme c’est souvent le cas dans le BTP. C’est un ensemble de choses qui est gagnant pour tout le monde”.
Conclusion :
Aujourd’hui, le bâtiment c’est en Europe, plus ou moins 25% des gaz à effet de serre. Le chauffage et la climatisation y sont pour beaucoup, conséquences directes d’une mauvaise isolation de nombreuses constructions. L’extraction / transformation / transport des matériaux de construction font le reste. Et c’est énorme.
Alors oui, si un matériau comme la paille offre non seulement un très bon pouvoir isolant et si en plus, il est biodégradable, qu’il valorise l’agriculture sans concurrencer les usages alimentaires des terres, disponible sur tout notre territoire où seulement 10% de sa production annuelle suffirait à isoler toutes les nouvelles constructions, qu’il favorise les emplois locaux et y attire de nouvelles tranches de la population, qu’il est disponible en circuits courts et permet d’éviter la pénurie de matériau qu’on rencontre actuellement, il doit être développé. A grande échelle, avec de la formation, de la R&D, de la littérature, un laboratoire, des moyens. C’est en cours.
Aujourd’hui la maison paille représente seulement 3 à 4% du marché. La marge de progrès est énorme dans cette filière où la France est pionnière au regard des autres pays européens. Tous les curseurs sont de notre côté; il n’y a plus qu’à…
Crédits-photos : Activ’Paille, Isovoo, Pascal Faucompré – Build Green