Chacun dans son domaine débute l’année avec ses meilleures prédictions. Ayant une grande affinité avec le marché de l’immobilier depuis quelques années et scrutant de près les tendances en matière de logement depuis une bonne décennie, je me lance dans ce nouvel exercice.
Cependant, il me semble compliqué de se prononcer sur un cycle annuel, délai si court pour un secteur, ayant une forte inertie, et dépendant de tellement de facteurs (réglementations, contexte économique, marché du crédit, …). Je vais donc tenter ici l’exercice de vous développer les tendances émergentes et esquisser l’évolution du marché immobilier pour les dix ans à venir, soit jusqu’à 2030 …
L’obligation de rénovation thermique
Cela fait 5 ans que la rumeur court, la convention citoyenne pour le climat la conseille, l’Europe s’y prépare, et cela devient presque inévitable tant le retard est important. Rénover les logements insalubres (Classe de DPE F & G, au strict minimum) est un des meilleurs leviers pour réduire les émissions de gaz à effet de serre de façon massive et irréversible.
Depuis le Grenelle de l’environnement, chaque nouveau gouvernement a tenté de marquer son passage avec des dispositifs plus ou moins incitatifs. Mais l’échec est flagrant : en 10 ans l’efficacité de ces mesures est quasiment nulle !
Il va falloir sérieusement penser à passer à la vitesse supérieure, et pas seulement d’un cran comme il l’est présenté dans le dernier plan, mais en obligeant lors d’une transaction, tout au moins les acquéreurs, à rénover, dans un délai de 2 ans, ces habitats énergivores pour la planète, lors d’une vente; ce qui sera bientôt le cas pour la location.
En effet, dans le projet de loi issu de la Convention citoyenne pour le climat (prévu pour mars 2021), il est envisagé que, lorsqu’un logement très consommateur d’énergie (classé F ou G) fait l’objet d’une nouvelle location, le loyer du nouveau contrat de location ne pourra excéder le dernier loyer appliqué. En outre, un décret annonce déjà (depuis le 11/01/2021) que la location des passoires thermiques (classées F & G) sera interdite à partir de 2023. Les 150 réclamaient l’obligation de rénovation énergétique des bâtiments d’ici à 2040 !
Pour ceux qui nous lisent ici régulièrement, inutile de vous dire, combien cette mesure est primordiale pour préserver notre environnement. Il sera toutefois impératif de trouver le bon niveau d’équilibre entre les besoins d’amélioration de confort thermique et l’investissement à réaliser. Mais, quoi qu’il en soit, rénover énergétiquement son bien est désormais un des meilleurs vecteurs de valorisation pour sa vente.
Et à ce niveau de transaction, les vendeurs, tout comme les acquéreurs, vont avoir besoin de conseils. La filière de l’immobilier (agent, mandataire) a donc un rôle important à jouer à cette étape :
- en détectant les logements à risque (avant même toute réalisation de DPE)
- en accompagnant vers une estimation pertinente de ces travaux
- en rassurant sur les solutions de financement possibles pour ces travaux
Une nouvelle réglementation environnementale du bâtiment
C’est une réforme dans les tuyaux depuis plusieurs années et qui sera opérationnelle au 2e semestre 2021 et va permettre d’influer sur le bilan carbone des constructions (avec l’usage de plus de matériaux biosourcés, plus d’énergies renouvelables). Le secteur de la construction neuve individuelle est déjà en pointe avec la réglementation thermique 2012, mais un de ses plus gros défauts est l’usage de matériaux et de solutions techniques assez peu pertinents pour la protection de la planète. Le secteur de l’habitat collectif n’avait pas encore l’obligation d’appliquer cette réglementation 2012. Or, la filière a été particulièrement émettrice de gaz à effet de serre ces dernières années avec l’usage de matériaux comme le béton et les isolants (laine de verre, polyuréthane, polystyrène) assez peu recommandables pour l’environnement.
Cette nouvelle RE2020 sera l’une des plus en pointe au monde et devrait s’appliquer à toutes les constructions. On peut s’en réjouir. Mais, elle aura la fâcheuse conséquence d’influer sur les prix de l’immobilier. Et ce ne sera pas le seul facteur…
En effet, l’obligation pour les collectivités de renoncer à l’urbanisation pour préserver les zones humides et leurs fonctionnalités dans leur prochain PLUI (loi biodiversité), va générer une raréfaction du foncier et forcément aussi faire monter la côte des terrains à bâtir. En outre, dans le projet de loi Climat et Energie, la France s’engage à réduire l’artificialisation des sols, en se fixant comme objectif de ne pas dépasser d’ici dix ans la moitié de la consommation d’espace réelle observée sur les dix dernières années et à poursuivre l’objectif de zéro artificialisation nette.
Nous sommes déjà dans un marché très tendu avec beaucoup de zones où les tarifs au m² ont fortement augmenté du fait de la pénurie de biens, qui a aussi tendance à scléroser le marché (de nombreux vendeurs potentiels ne trouvant pas chaussure à leur pied, ne mettent pas leur bien sur le marché). Un cycle infernal qui rend de plus en plus inaccessible l’achat d’un appartement, et pire, d’une maison aux primo-accédants. Les Tanguy sont de plus en plus nombreux !
Le marché du neuf va ainsi progressivement se transformer, avec une forte diminution de la construction individuelle, réservée aux élites et aux zones très urbaines (foncier plus accessible). Nous verrons se développer une tendance à plus de logements collectifs, en grande partie participatifs, dont nous allons développer ci-dessous les différents types.
Les conséquences directes de la crise sanitaire
Nous venons de passer une année tout à fait exceptionnelle avec un phénomène jamais connu (en dehors de la prison) depuis la nuit des temps : le confinement.
Quoiqu’on en dise, cette restriction de déplacement a des conséquences innombrables sur la société :
- recours au télétravail massif
- et donc diminution des surfaces tertiaires
- conversion à de nouveaux modes de transport
- besoin de logements pour de nouveaux usages (le bureau devenant une pièce à part entière)
On l’a constaté en 2020, le volume de vente n’a pas beaucoup faibli malgré la pandémie. C’est assez symptomatique d’un marché très tendu où l’offre est largement inférieure à la demande. Et cela ne va pas s’arranger avec ces crises environnementale (systémique) et sanitaire (épisodique)
On remarque déjà une volonté de la part des Parisiens à vouloir s’exiler vers la banlieue périphérique pour les CSP + notamment et, pour d’autres, se lancer dans un exode durable vers des contrées plus lointaines et rurales (voir ci-dessous).
La mise à disposition de nombreux locaux tertiaires (bureaux essentiellement) va offrir des opportunités de réhabilitation innombrables; un marché juteux pour les promoteurs, marchands de biens et autres artisans de la rénovation.
Cette crise sanitaire influe déjà sur le comportement de nombreux de nos compatriotes dans leur quotidien, avec une plus grande méfiance face à toute sorte de maladies, générant chez certains des pathologies psychiques. On voit déjà fleurir de nombreux appareils électroniques pour assainir votre air intérieur et vos objets, marché qui va croître à vitesse grand V.
On risque aussi de voir se développer des comportements paranoïaques avec un plus grand isolement pour certains et pour les plus fortunés, la mise en place de pièces sécurisées, la panic room, phénomène déjà bien connu chez les Américains, qu’ils soient collapsologues ou pas !
Une prise de conscience écologique massive
Toutes les études le montrent, les Français deviennent non seulement plus sensibles à la protection de l’environnement mais aussi à la préservation de leur santé. Et ce phénomène commence à se ressentir à différents niveaux.
Le downsizing de l’habitat
Une frange de la population prend conscience que nous occupons de plus en plus d’espaces dans notre habitat, pour des pièces, du mobilier, des appareils électroménagers, des moyens de transports toujours plus abondants.
Autrefois les maisons grandissaient avec les familles et plusieurs générations cohabitaient et s’y succédaient. Aujourd’hui, les maisons ou appartements sont conçues pour des familles monoparentales plus ou moins grandes mais qui, au fil des ans, se dispersent, alors que la taille du logement a quelquefois augmenté pour du confort, une grande pièce de vie, par des chambres au grenier, des salles d’eau supplémentaires, des garages ou dépendances. De grandes surfaces encombrées, à chauffer, alors qu’elles se vident de vie au fil du temps !
Si l’aspect financier aurait pu être la principale motivation, on s’aperçoit que nombre de Français font le choix d’un downsizing (réduction de taille) de leur habitat pour des raisons bien plus terre à terre.
Ainsi, les projets d’immeubles deviennent beaucoup plus collaboratifs avec la mise en commun de pièces (salle de réception, garages, buanderie, …) de véhicules et de matériels. L’habitat participatif est désormais encadré par une loi qui facilite sa création et son financement.
Par ailleurs, certains, jeunes couples, retraités ou petites familles, font le choix de réduire leur surface habitable parfois au détriment du confort en construisant des yourtes ou des tiny houses, qu’ils cherchent, souvent désespérément à parquer, tant qu’à faire, sur des points de vue exceptionnels.
L’auto-écoconstruction
D’autres français font le choix de construire eux-mêmes leur maison. Inspirés par les reportages Tv ou sur le net, ils s’aventurent dans ce projet, souvent avec très peu de connaissances, mais avec la certitude, chevillée au corps, qu’ils auront la fierté d’avoir réussi leur défi (souvent financier) tout en préservant l’espace de confort minimal dont ils rêvent.
Et dans cette catégorie, on y trouve une part grandissante, les vrais écolos, ceux qui font le choix des matériaux biosourcés (bois, terre, paille, …) et plus sains pour eux-mêmes et la planète. Pour ceux-ci, l’exposition du terrain et l’environnement sont des critères de premier ordre. Si ces maisons ont une bonne empreinte carbone (tant à la construction qu’à l’exploitation), elles demandent beaucoup de main d’œuvre. Le recours au chantier participatif (souvent non accompagné) devient alors la clé de la réussite.
Cette solution s’applique aussi à la rénovation des habitations pour des projets de plus en plus grands et collectifs. Et pour cette tendance, une nouvelle clientèle pointe son nez…
L’exode urbain pour des projets plus collaboratifs
Si le phénomène était lancinant depuis quelques années, on constate une véritable accélération après la pandémie de 2020, dans les groupes Facebook notamment, pour des envies d’éco-habiter, non loin des villes, mais surtout dans un cadre préservé, pour un bien “à gros potentiel” !
L’idée pour ces néo-ruraux est de créer un écolieu, qu’il soit à partir d’un manoir ou d’un château, d’une ancienne ferme, voir d’un hameau, pour en faire un lieu de vie collectif, chacun y apportant ou contribuant au projet d’activité économique, avec l’envie de le pérenniser en lien avec son environnement local. Cette réappropriation des campagnes est-elle l’avenir de notre humanité ?
En tous les cas, ces projets permettent de réhabiliter de vieilles bâtisses, souvent en perdition, et de dynamiser une activité économique en circuit court.
La conversion du tertiaire
Dans le même esprit, mais dans le milieu urbain, on voit se développer depuis quelques temps déjà, des tiers-lieux, espaces physiques pour faire ensemble, dans lesquels les individus peuvent travailler, se rencontrer, se réunir et échanger de façon informelle.
Et cette tendance devrait s’accélérer avec la mise à disposition de nombreux immeubles de bureaux et locaux, libérés par le développement du télétravail et du fractionnement de l’économie (micro-entrepreneurs). Les architectes commencent à anticiper le phénomène en prévoyant déjà dans leurs projets la réversibilité des prochains immeubles de bureaux ou bâtiments d’entreprise.
L’immobilier s’oriente donc vers une réduction de l’espace individuel pour plus de sobriété, avec le choix de matériaux moins polluants et plus efficaces. Pour d’autres, la solution passera par la réhabilitation de zones oubliées pour les transformer en écolieu ou tiers-lieu.
Plus de végétalisation en ville
La plupart des grandes villes, métropoles, voire mégapoles ont atteint voire dépassé le seuil de tolérance admissible pour une vie saine et sereine ! Aucune n’est capable d’atteindre l’autonomie énergétique et alimentaire. Et après les épisodes de pandémies, on se rend bien compte que c’est un véritable problème.
Le célèbre professeur à l’Institut d’urbanisme de Lyon et auteur Guillaume Faburel explique dans son dernier livre “Les métropoles barbares” qu’il faut dépeupler les villes et donc s’expatrier vers les campagnes, où il est possible de s’extirper d’un environnement trop écologiquement inflationniste (soumis à la tentation de la consommation inutile).
Alors, avec l’arrivée de maires écologistes dans les grandes villes, de nombreux plans de revégétalisation sont mis en place (avec une efficacité plus que douteuse), alors qu’on pourrait certainement faire plus simple. Des projets d’éco-quartiers fleurissent un peu partout, relevant plus du greenwashing que de véritables ambitions écologiques. D’autres se rêvent en rois de l’efficacité énergétique à l’échelle d’un quartier, d’une ville, grâce aux smarts grids, miroir aux alouettes des temps modernes.
En attendant, l’instauration de zones à faibles émissions sera obligatoire dans les agglomérations métropolitaines de plus de 150 000 habitants d’ici le 31 décembre 2024. Les voitures les plus polluantes pourront y être interdites dès 2023 en cas de mauvaise qualité de l’air.
Vers un retour à plus de sobriété
L’ère de l’électronique, puis du numérique ont révolutionné nos habitats ces 10 dernières années. Entre frigos américains, fours, lave-vaisselle, plaques à inductions, hottes (à cassette) et la multitude d’appareils électro-ménagers, nos cuisines et salles de bains sont devenues de véritables pompes à électricité. Les mobiles (renouvelés chaque année et encombrant nos fonds de tiroirs) et la domotique nous offrent également un confort et la promesse d’une sécurité inégalée.
Malheureusement, toute cette consommation frénétique génère des déchets et toujours plus de consommations d’énergie, malgré une réduction individuelle par matériel. Et ce ne sont pas les seuls déchets qui nous posent problèmes : les emballages de l’alimentation sont aussi source de pollution pour la planète.
L’Etat en a pris conscience et nous pousse via des campagnes régulières à réduire nos déchets. Mais pour cela il faudrait déjà consommer moins, réduire les emballages, acheter des produits à plus grande durabilité, mieux trier ses déchets, …
Pour y parvenir, on doit aussi adapter nos logements, pour faciliter le tri, stocker les aliments, et pourquoi pas se mettre à la production de sa propre alimentation. Le retour au potager, même de balcon, est une tendance en vogue, qui se développera dans les années à venir.
Certains vont plus loin encore, en préconisant les Low-tech pour les énergies renouvelables, remplacer le réfrigérateur et revenir à des solutions plus mécaniques pour l’électroménager. Pas sûr que cela fasse un carton dans la prochaine décennie, mais ce sera inévitable ensuite, lorsque le coût des matières premières deviendra inabordable pour tous ces produits électroniques, qu’on ne sait encore pas bien recycler !
La problématique du logement des seniors
C’est indubitable, la population vieillit. Les personnes âgées d’au moins 65 ans représentent plus de 20% des Français, et leur part a progressé de 4,7 points en vingt ans (source Insee). Or, pour beaucoup, leur logement n’est pas adapté à leur mode de vie. Ils sont souvent dans des appartements sans ascenseur ou des maisons trop grandes, sans vie de plain pied (chambre, salle de bains). Et pour cette catégorie, un dilemme se pose de plus en plus, surtout s’ils vivent assez loin des commodités : comment faire pour acheter un bien adapté avec peu d’apports financiers ? En effet, la vente de leur bien ne suffit pas pour investir dans un appartement et encore moins une maison en ville.
Si la pandémie a malheureusement beaucoup touché la tranche la plus âgée, il n’en demeure pas moins que le marché est déjà sclérosé par ce phénomène. Or la construction de logements sociaux, de résidences seniors, de foyers logements ou de maisons de retraites n’est pas à son beau fixe actuellement. Pourtant, le marché est là ! Et nul n’est besoin d’être dans une grande ville pour construire ce type de logements !
Une longue mutation s’amorce dans l’immobilier pour la prochaine décennie. L’histoire en a vécu de nombreuses, notamment après la 2ème guerre mondiale, lors des Trente Glorieuses pendant laquelle l’anarchie constructive a régné, puis dans les années 80 avec une première prise de conscience du coût de l’énergie (suite à la 1ère crise pétrolière) mais cette métamorphose s’annonce plus profonde et durable. Le dérèglement climatique nous impose de décarboner notre économie. Nous allons donc devoir revoir notre façon de consommer, de nous habiller, de manger mais aussi de nous loger.
En résumé, je vois quatre tendances se dégager pour le marché immobilier dans la décennie à venir :
- les prix du foncier et du m² vont inexorablement continuer à grimper, malgré la crise économique qui se profile;
- la rénovation de l’immobilier ancien et la réhabilitation de bâtiments seront les principaux marchés de demain;
- les logements neufs vont devenir plus rares en individuel, plus petits et plus participatifs;
- l’exode rurale va faire exploser la création d’écolieux un peu partout en France.
J’aimerais terminer sur un souhait personnel à propos des écolieux. De ce que j’ai pu constater dans mon étude de ces différents projets depuis une dizaine d’années, ils sont souvent mis en place par des individus entre trente et cinquante ans, issus de milieux urbains et de bons niveaux intellectuels. Il serait bien d’envisager dans ces projets plus de mixité sociale, générationnelle et ethnique…