Prisonnière d’un modèle productiviste, fondé sur l’extraction massive de matières premières non renouvelables, l’architecture ne rend plus le monde habitable. Elle participe à la prédation et la destruction des milieux habités. Ces violences systémiques ne peuvent plus être ignorées et la profession doit se réformer.
Tant que nous nous obstinerons dans une architecture de production fondée sur la construction en neuf […], nous continuerons à faire du bâtiment une marchandise » Philippe Simay
Au-delà de l’injonction à optimiser des ressources naturelles disponibles ou à privilégier des matériaux issus de la biomasse, les architectes ont-ils des obligations morales envers les milieux qu’ils exploitent ? Comment peuvent-ils encore construire sans porter atteinte à l’ensemble des êtres vivants ?
La difficulté dans laquelle se trouvent aujourd’hui les architectes, et tous ceux qui voudraient participer à la production de leurs lieux de vie, tient à notre dépendance collective à des modes de construction industriels qui entravent notre capacité de réappropriation d’autres façons de produire et de partager l’espace. Refuser d’employer des procédés industriels, retrouver des savoir-faire anciens, mobiliser des ressources matérielles et humaines locales n’est en rien une attitude passéiste ou conservatrice. C’est un constat lucide des conditions socio-écologiques dont dépend la dignité de nos vies et de nos métiers. »
En partant de ses observations et de ses recherches, le philosophe Philippe Simay, spécialiste de l’éthique environnementale, interroge le rapport que nos sociétés entretiennent à leurs ressources afin de redécouvrir les liens qui nous unissent aux matières et, par-delà, au monde de la vie.
Constat qu’avait fait en son temps William Morris, figure tutélaire du mouvement Arts & Crafts, dénonçant les ravages de l’industrialisation de l’Angleterre : les paysans chassés de leurs terres avec les enclosures, les artisans privés de leurs outils de travail, de la finalité de leurs productions et de la dignité de leur métier, pour être jetés à l’usine comme main-d’œuvre interchangeable au nom des produits bon marché destinés au bien-être présumé du plus grand nombre.
Son constat est encore le nôtre : « On produit beaucoup trop, le marché est saturé, et tout cela ne donne rien. […] Ne voyez-vous pas le gaspillage – gaspillage de travail, de savoir-faire, d’intelligence ? Tranchons le mot, le gaspillage de vies ? » et d’ajouter « Tant que nous nous obstinerons dans une architecture de production fondée sur la construction en neuf, c’est-à-dire la destruction systématique de l’existant et la production de déchets ; tant que nous n’interrogerons pas ce que doit être aujourd’hui une architecture de subsistance, permettant de vivre du fruit de son travail tout en garantissant les conditions d’habitabilité de la terre, nous continuerons à faire du bâtiment une marchandise, un site stratégique d’accumulation du capital.»
L’auteur propose de sortir d’une approche anthropocentrée des ressources, invitant à ne plus rien prendre à la Terre pour construire uniquement avec ce qui reste, c’est à dire à réemployer l’existant.
Philippe Simay : Maître de conférences en philosophie à l’École nationale supérieure d’architecture de Paris-Belleville, Philippe Simay est le cofondateur de la revue Metropolitiques.eu. Il a animé la série Habiter le monde ainsi que d’autres documentaires pour la chaîne de télévision Arte, dont L’appel du Grand Nord en 2021. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages, notamment Habiter le monde (Actes Sud, 2019) et, avec Clara Simay, La Ferme du rail : pour une ville écologique et solidaire (Actes Sud, 2021).
- Editeur : Terre Urbaine
- Collection : L’Esprit des Villes
- Titre : Bâtir avec ce qui reste
- Auteur : Philippe Simay
- Parution : 23/05/2024
- Nbre pages : 138
- Format : broché – 13 x 19,5 cm
- Tarif : 17,00€
Notre avis : une vision tout à fait conforme avec la ligne éditoriale de Build Green : limiter au maximum le recours à la construction, en rénovant l’existant, et construire avec des matériaux locaux, biosourcés, ou idéalement de réemploi ou recyclé. Un démarche low tech qui demande à revoir complètement nos modes de pensées, de conception, de rénovation.