Dans la province du Fujian, en Chine, au village de Hekeng, d’étranges habitats parsèment la région montagneuse du Hakka. Confondu par les satellites américains dans les années soixante avec des bases de lancement de missiles, il fallut attendre encore de nombreuses années pour y découvrir bâtiments bien vivants où vivent une communauté d’autochtones depuis le moyen-âge.
46 tulou construits entre le 12e et le 20e siècle ont été inscrits en 2008 par l’UNESCO comme site du patrimoine mondial, «exemples exceptionnels d’une tradition et d’une fonction de construction illustrant un type particulier d’organisation commune de la vie et de la défense, une relation harmonieuse avec leur environnement». Treize de ces tulou se trouvent à Hekeng.
En mandarin, tu lou signifie « bâtiment en terre », ou amphithéâtre ou cercle de pierre. De hauts murs en terre brune surmontés de petites fenêtres, abritent un bâtiment carré ou circulaire, avec une simple porte de bois à ferrures comme entrée principale.
Ces édifices, au parfum médiéval, enferment de gigantesques galeries en bois s’élevant jusqu’à 4 étages et surplombant une cour lumineuse, tel le coeur d’une arène romaine. On y trouve le plus souvent un ou deux puits et une petite niche décorée, vouée au culte des ancêtres. De là, on se sent comme happé par le décor circulaire des pièces juxtaposées et les vues imprenables sur l’environnement.
Un sentiment de sécurité qui s’explique par l’origine : des guerres fratricides pour la lutte des territoires. Pour repousser les menaces, les villageois ont choisi de bâtir des murs en pisé, un mélange d’argile, de calcaire et de sable qui, une fois séché, est dur comme du béton. Une bonne partie des murs faisaient au moins 1,5 m d’épaisseur, pouvant résister à toutes les armes de l’époque.
Le dernier tulou recensé fut construit en 1961 dans le Dongsheng en 4 ans, chaque étage de 22 chambres nécessitant une année de travaux. Un chantier qui ne pourrait aujourd’hui être reproduit tant ces constructions demandent de main d’oeuvre et de temps. Tous les tulou sont conçus sur les fondamentaux du feng shui.
Situés au fond des vallées, ces tulou logeaient ainsi jusqu’à plusieurs centaines d’habitants avec au rez-de-chaussée, ouvert sur la cour, la cuisine et la salle à manger , le premier étage faisait office d’entrepôt et du troisième et au quatrième, s’alignaient les chambres à coucher, toutes identiques. Un règlement intérieur, affiché à l’entrée, organisait les règles de savoir-vivre : évacuation des ordures, cérémonies en hommage aux ancêtres, participation aux fêtes.
C’est seulement dans les années 50 que la Chine urbaine a découvert les premiers tulou du Fujian, ceux-ci se trouvant isolés de toutes communications extérieures. On recenserait plus de 2.500 tu lou dans toute la région. Aujourd’hui, la plupart de ces constructions ont été désertées et n’abritent plus que quelques anciens et leurs petits enfants laissés à leur charge, pendant que leurs parents travaillent en ville.
Trop exigus et dépourvus de sanitaires, ces habitations sont dépeuplées pour une société de consommation plus confortable. Alors qu’autrefois, elles appartenaient à des clans puissants, elles sont désormais des musées vivants tombant en désuétude, et retrouvent seulement leur animation lors des fêtes nationales.
Seule certitude, ces tulou ne disparaîtront pas de si tôt, tant ils sont solides. Ils inspirent d’ailleurs nombre d’ingénieurs et d’architectes venus étudier ces bâtiments en pisé, les considérant comme le prototype de la maison « écologique » : économe en énergie, bien intégrée dans l’environnement, bâtie à partir de matériaux locaux et naturels. Selon l’architecte canadien Jorg Ostrowski, même les critères du label « Leed » seraient dépassés par les qualités d’une telle construction !
A Zhang Min Xue, un entrepreneur, a transformé un tulou abandonné depuis huit ans en hôtel, baptisé Qingde Lou. Les travaux ont pris un an et le plus difficile, a été d’y installer une plomberie moderne !