Si désormais 75% de la population habite en ville, 4 français sur 5 rêvent de vivre à la campagne. Et à juste titre : pollution, coût de la vie, stress, sont autant de raisons de vouloir fuir cette ambiance urbaine. Les territoires ruraux doivent se confronter à cette nouvelle exode rurale pour des projets de vie plus en adéquation avec l’environnement local. Les LOCALOS accompagnent ces territoires vers cette transition qui se veut de plus en plus écologique.
Jean-Yves Pineau, vous êtes le directeur des LOCALOS, quel est le projet et le parcours qui vous a amené à créer cette structure ?
C’est avant tout l’envie d’une aventure collective singulière. Les LOCALOS sont nés de la volonté de continuer à poursuivre l’exploration du développement local à l’aune de la transition écologique. De manière différente et nécessairement impertinente. Quant à mon parcours, il est celui de quelqu’un qui s’est engagé il y aura bientôt 30 ans dans ces questions de développement local. Après onze année en tant qu’agent de développement sur un territoire rural en Indre-et-Loire, le Pays de Racan, j’ai été près de 15 ans directeur du Collectif Ville Campagne (association nationale qui a travaillé plus spécifiquement la question de l’attractivité des territoires ruraux et des politiques d’accueil) mais l’aventure s’est terminée en 2016. Cela a donné l’occasion de créer les LOCALOS.
J’avais envie de participer à la recréation d’un “lieu” où l’on puisse retisser des liens entre acteurs, entre secteurs, entre disciplines (élus, techniciens, socioprofessionnels, chercheurs, artistes, citoyens…), expérimenter ensemble de nouvelles voies de développement local. Démontrer que la transition écologique est peut-être la seule bonne nouvelle d’aujourd’hui. Elle ne doit pas être appréhendée comme contrainte ni comme “purge” mais bien comme une extraordinaire manière de fabriquer bien d’autres richesses que pécuniaires et surtout réencastrer l’humanité dans les écosystèmes naturels. Si nous voulions faire intellos, nous dirions que les LOCALOS souhaitent explorer deux concepts que sont le “Local-Monde” et “l’Ecobionomie” (voir sur le site).
Enfin, notre association nationale, basée à Limoges, souhaite explorer la création d’une Société Coopérative d’Intérêt Collectif dans les deux prochaines années.
Quel constat faites vous de la situation économique et sociale des campagnes actuellement ?
Les campagnes sont si diverses qu’il serait bien imprudent d’en dresser un constat univoque et général ! Toutefois, les très fortes mutations que les campagnes ont subies ces 3 dernières décennies du fait d’une mondialisation des échanges et du libéralisme jouent, et cela peut paraître paradoxal, de manière positive. En effet, nous sommes passés dans l’imaginaire collectif, des “zones rurales” ringardes et dépassées par la modernité, à des “campagnes” phares et émancipatrices. Des territoires où l’on peut réussir sa vie (à condition de pouvoir en bouger). Des territoires qui sont autant de ressources pour justement réussir la transition écologique. Les villes et surtout les mégapoles, apparaissent de plus en plus comme des lieux âpres voire hostiles, témoins d’une humanité hors-sol et d’un monde voué à l’échec (le capitalisme fondé sur le consumérisme). Il s’est opéré un changement de représentations en profondeur comme en témoigne le sondage qui chapeaute cet article.
Sur le plan socioéconomique, la plupart des campagnes ont su tirer profit de ce moteur de développement qu’est celui de l’économie dite résidentielle ou présentielle ou de proximité. Ce moteur représente en moyenne 70% des richesses pécuniaires pour les territoires ruraux. Pour information, l’économie dite productive n’en représente que 10%. Mais là encore, la plus grande des prudences est de mise tant les situations peuvent être différentes. Cela dit, et je me place en tant que praticien, j’ai pu observer au cours de ces 30 années que partout là où les acteurs territoriaux bougeaient, il y avait du positif et de belles histoires. Le déclin des campagnes peut exister ici et là mais il n’est nul part une fatalité ! Le souci aujourd’hui c’est que l’Etat et l’Europe ne semblent plus convaincus de l’importance de ces territoires et laisse faire le marché. Or le marché ne s’intéresse pas ou peu à ces zones peu densément peuplés en…clients. Le retour sur investissement est trop faible. D’où une situation vécu comme injuste par les élus ruraux et une grande partie des populations autochtones et peu mobiles.
Enfin, l’une des craintes que nous exprimons souvent, c’est de voir ces campagnes vouloir se faire plus grosses que le boeuf et ressembler à la grande ville : urbanisme uniforme et catastrophique, mode de vies et de consommation calqués sur les villes, désintéressement des savoir-faire locaux, des agricultures… la liste est malheureusement longue. Nous avons envie de leur dire à ces “territoires” : tenez-bon, c’est vous qui avez les clefs de demain. Pas uniquement les métropoles et certainement pas elles seules !
Comment votre structure peut-elle accompagner ces territoires ?
Les LOCALOS déploient de manière assez traditionnelle une offre variée autour de l’accompagnement stratégique, de l’assistance à Maîtrise d’œuvre ou, plus original,assistance à Maîtrise d’Usage, des formations, des études. Mais nous souhaitons surtout co-construire avec les acteurs des territoires (élus, socioprofessionnels, collectifs, associatifs…) des démarches originales et innovantes, ce que l’on nomme des expérimentations. Il s’agit d’explorer de nouvelles manières de s’engager dans la transition écologique via l’économie, le social, le culturel et bien évidemment la démocratie locale d’engagement !
Nous souhaitons être dans la co-construction avec les territoires et dans la maïeutique. C’est notre marque de fabrique et ce qui nous distingue des cabinets de consulting conventionnels. Nous nous inscrivons dans des démarches de « Recherche et Développement » en quelque sorte.
Enfin nous explorons aujourd’hui une manière un peu différente d’intervention à partir de séminaires terrains qui pourraient permettre de créer des cellules de LOCALOS afin d’imaginer des démarches au long cours et autoportées. C’est en cours d’élaboration. Nous aimerions tenter de créer un fond de développement local ou/et aider les territoires et les acteurs à pouvoir en disposer. (re) Donner les moyens aux territoires de fabriquer leur propre stratégie sans qu’ils soient obligés de s’appliquer à s’inscrire dans telle ou telle politique (ou dispositifs) pour pouvoir bénéficier de fonds d’ingénierie et d’animation. Ce type de démarche descendante favorise non pas l’égalité des territoires mais juste un artefact qui a surtout l’inconvénient du panurgisme et qui ne stimule pas, au final, les intelligences locales.
Pouvez-vous nous donner un exemple d’accompagnement en cours ou réalisé ?
Coté formation-développement, je pourrais citer la Communauté de communes du Couserans-Pyrénées en Ariège où les acteurs culturels de ce territoire souhaitent réfléchir à la création d’activités de manière originale. Pour les LOCALOS, la culture, au sens large, est un formidable levier de développement durable (je n’aime pas cet oxymore mais à défaut de mieux…).
Côté expérimentation, nous accompagnons le Pays Beaujolais, mais aussi d’autres territoires, dans le développement des Villages d’Accueil et de la culture de l’accueil. L’objectif est de pouvoir rendre acteurs les habitants des villages en matière de développement local. Qu’ils puissent agir sur les conditions de vie et l’ambiance de leur village. Nos interventions sont assez nombreuses et très variées dans leurs déploiements.
Qui peut rejoindre et participer aux localos ?
Toutes personnes, toutes collectivités locales, toutes structures qui se sentent concernées à la fois par le local et par la transition écologique. Nous comptons aujourd’hui une quarantaine de membres mais nous n’avons pas lancé de campagne d’adhésion. Pas encore. Nous nous structurons.
Cela dit, toute nouvelle adhésion est la bienvenue afin de participer collectivement à la forge de cet outil que souhaite être les LOCALOS.
Quel regard portez-vous sur l’habitat en campagne ? Quels sont les défis à relever pour l’habitat de demain dans ces zones ?
L’habitat est un des enjeux les plus essentiels à la campagne (comme en ville cela dit). Il relève à la fois du champ culturel, du champ social, du champ économique. La question de l’urbanisme et de l’urbanité, la question des paysages et la question des matériaux de construction sont autant de freins ou de leviers à la transition écologique.
Ce que l’on peut en dire aujourd’hui c’est que manifestement il y a une forme de gabegie désespérante dans la manière dont on traite le sujet : on esquinte les paysages et les écosystèmes, on fabrique des maisons et des immeubles qui sont des gouffres énergétiques avec des matériaux improbables pour la plupart du temps et, cerise sur le gâteau, on uniformise les territoires en copiant les américains et la mise en « banlieue » de leur pays. Mais le plus embêtant c’est l’aspect spéculatif et rentier du bâti qui entrave l’innovation et le changement rendu plus que nécessaire.
Dans ce contexte, le premier défi à relever est pour moi l’impérieuse nécessité d’élaborer une réelle stratégie territoriale en matière d’habitat. Dit autrement, il est impératif que les territoires se dotent de politiques locales fortes, ambitieuses. Après tout le « Territoire » est la résultante de la manière dont les humains l’habitent et en prennent soin ! L’habitat est finalement un excellent révélateur du niveau sociétal et du rapport que nous avons au monde et de la manière dont nous le traitons. Mais c’est un extraordinaire levier de développement local. Propre à doper l’économie durable des territoires et à favoriser une socialisation des populations.
Hélas, peu de territoires et peu de décideurs en ont vraiment conscience ou pensent que c’est un domaine trop complexe qu’on doit laisser au privé et à la main invisible du marché. C’est pourquoi nous souhaitons avec les LOCALOS promouvoir les coopératives d’habitat (ou l’on trouve des coopérateurs qui peuvent être des usagers, des constructeurs, des fournisseurs de matériaux, des collectivités), les démarches d’éco-quartiers, les outils d’urbanisme rural tel que l’ARBAN sur le Plateau de Millevaches en Limousin ou les services développés par certains Parcs Naturels Régionaux (Livradois-Forez par exemple). Et de manière plus ample, promouvoir de vraies politiques d’accueil pour et sur les territoires ruraux.
Passer de l’urbanisme techniciste froid et industriel à une politique d’urbanité et de ménagement ré-ancrée dans le local et ses singularités. Une manière de se rendre hospitalier et accueillant tout en permettant la « grande » transition.
Jean-Pierre Pineau, est l’ex-directeur du collectif ville-campagne, association nationale basée à Limoges active de 1996 à 2016. Depuis, il a travaillé à la structuration des Localos et en est aujourd’hui le directeur. Il fait partie de comités d’expertise (mais qui expertise les experts hein ?) et intervient régulièrement dans des tables rondes ou des conférences au niveau national autour des thèmes suivants : accueil et attractivité des territoires, économie et création d’activité, culture et territoires, relations ville/campagne, projets de territoire et transition écologique, mobilisation des acteurs et démocratie active…
Jean-Yves Pineau est par ailleurs vacataire dans différentes universités, pêcheur, chanteur et chroniqueur dans la revue Village (Acteur Rural).
Merci à Jean-Pierre Pineau d’avoir accepté cette interview.
Plus d’infos sur les Localos.
Crédits Photos : Pixabay