La presse ne cesse de se faire l’écho de l’impression en 3 D de maisons grandeur nature, vite fait, bien fait, un peu partout dans le monde. Quasi personne n’est en reste, qui avec du béton, qui avec de la mousse, qui avec des résines …
Tout le monde semble ébloui par ces prouesses techniques, probablement à juste titre car ces constructions 3D, en grandeur réelle nous apportent, une fois de plus, la preuve de très grandes capacités d’inventivité et du génie humain.
On ne cesse, dans le même temps, de nous faire valoir le volet écologique de ces techniques. Ces arguments vont de l’économie de matière, à l’économie des déchets générés sur chantier en passant par le recyclage de matière première provenant de déconstruction d’immeubles plus anciens, sans oublier le gain de temps (tiens le temps relèverait-il de l’écologie ?) et l’économie de fatigue des travailleurs. Quant à la qualité de réalisation, du jamais vu sur chantier, les machines étant, c’est bien connu, plus performantes et régulières que l’humain.
Nous allons essayer d’analyser ce que ces techniques d’impression peuvent nous laisser envisager pour le futur.
Quels sont les apports de cette impression 3D sur les matériaux ?
Toutes les constructions neuves font appel à des matériaux, soit d’origine fossile, soit nécessitant beaucoup d’énergie pour leur fabrication, soit les deux à la fois, soit générant beaucoup de gaz à effet de serre soit, mais oui, c’est possible, cumulant les 3 handicaps.
Ces imprimantes et ces techniques constructives novatrices sont-elles un moyen de remédier à ces dérives qui participent grandement à la dégradation de notre biotope et qui, disons le, risquent de porter atteinte à la survie sur notre planète d’une espèce bien connue : homo sapiens.
Un béton isolant, une technique qui met en œuvre un matériau déjà connu (depuis Doubaï)
Extrait d’un article : “Inscrite au Dubai Future Accelerators, la start-up Renca a récemment dévoilé un ciment d’impression 3D « vert » fabriqué à partir de déchets industriels. Fondée par l’homme d’affaires russe Andrey Dudnikov et le géologue italien Alex Reggiani, la co-entreprise a collaboré avec la municipalité de Dubaï pour développer un matériau de construction 3D plus écologique. ”
Nous voilà directement au cœur de ce nouveau monde, quasi systématiquement, 3 grandes constantes : une Start-up, des hommes d’affaires ou un représentant d’intérêts financiers ou industriels, parfois les deux et, enfin, la promesse d’un meilleur (plus vert, plus écologique …). Cerise sur le gâteau, très souvent un grand prix de l’innovation.
Voyons cela plus en détail.
Tout d’abord, il ne s’agit pas d’un béton (tout court !) mais d’un béton géopolymère. Ça change beaucoup de choses, entre autres, besoin de moins de chaleur pour la production du liant. C’est donc un avantage considérable par rapport à l’emploi d’un ciment type Portland. Il est généralement fabriqué à base de déchets recyclés, notamment des résidus de combustion du charbon (le charbon ? une source qui n’a pas le vent en poupe !) et de laitiers des hauts fourneaux. Recyclage : que du bon tout ça, seul Hic, car il y en a un, (non deux !) : ces ingrédients sont déjà valorisés, dans le cadre de la fabrication d’autres liants et qu’ils seront probablement assez rapidement reclassés au plan de leur évaluation environnementale, de plus ils sont en diminution soit par baisse de consommation, soit par amélioration des process de production en amont.
On nous annonce un béton isolant, mais en quoi est-il isolant ? Quelles en sont les performances ? Se suffira-t-il à lui-même ? Autant de question pour lesquelles nous n’avons pas trouvé de réponse. Nous avons abordé ces thèmes ici, dans un article intitulé “Les blocs isolants pour murs extérieurs, la bonne affaire ?”. Ne risque-t-on pas de rencontrer la même problématique ? Ces promesses ne relèvent-elles pas plus de la communication que d’une réelle efficacité ?
Technologie Additive, une technique qui, probablement, fait appel à des agrégats moins courants (de France)
Cette technique consiste à apporter de la matière pour constituer des éléments, par opposition aux techniques dites soustractives, lesquelles consistent à partir d’un bloc et y tailler ce qui nous est utile par enlèvement de matière.
Bonne idée, on va ainsi limiter la consommation inutile de matière. Mais est-ce si révolutionnaire ? En fait, ceci est pratiqué depuis fort longtemps dans de nombreux secteurs. Par exemple lors de la substitution de fermettes (pdf) aux charpentes massives, lors du coulage des voussoirs constituant les tabliers des ponts ou viaducs en béton tel que celui du viaduc de Sylans dans l’Ain.
Il est vrai qu’on nous propose de faire encore plus fin comme le démontre une impression présentée au Mondial du Bâtiment en 2015 (Cocorico, une Start-up française : Xtreee) donc avec encore moins de matière, mais cette matière ne semble guère avoir changé, notamment à en juger par les partenaires. Extrait de l’article dont lien ci-dessus : “Recherche et Développement avec plusieurs grands acteurs de l’industrie dont Dassault Systèmes, ABB et Lafarge-Holcim.”
A n’en pas douter, la présence de Lafarge-holcim est un indicateur de ce qui constitue probablement une bonne partie de la matière première : le ciment. Nous avons déjà développé ici les “travers” de cette industrie dans un article intitulé Comment les cimentiers nous mentent avec de vraies infos !
La présence de Dassault pourrait laisser supposer l’apport de polymères, largement utilisés dans l’aviation …
Malheureusement, nous n’avons pas réussi à percer le secret du matériau !
Boues, une matière première largement disponible (d’Italie)
Un industriel italien, Wasp, a lancé en 2014 les bases d’une imprimante 3D dont il nous annonce qu’elle imprime avec de la boue, matériau pas cher et, a priori, largement disponible, quoi que … En voyant cette imprimante fonctionner, il nous est vite apparu qu’il faut une boue d’une qualité précise : malléable mais pas trop, elle ne doit pas contenir de pierre au risque de boucher la tête d’impression et elle doit “prendre” (durcir) suffisamment vite pour permettre la mis en place de la couche suivante. En effet, il s’agit, comme pour toutes ces imprimantes 3D, de travailler par dépose successive de couches les unes après les autres. Il faudra donc que la boue soit tamisée avant utilisation. Seulement, pour tamiser de la terre, il faut qu’elle soit sèche. Et comme elle est à base d’argile, elle sèche lentement et, de plus, se solidifie, il faudra donc broyer cette terre sèche … ça se corse considérablement !
Nous avons cherché un peu plus avant et voici ce que nous dit l’inventeur : ”Nous sommes réellement confiants à l’idée d’avoir trouvé la bonne recette offrant les caractéristiques requises. Le mélange que nous utilisons est un mix d’ingrédients : argile, eau, alcool, huile et papier. La recherche du matériau est la partie la plus critique du projet. En effet vous avez besoin d’une fluidité optimale pour la préparation afin d’éviter que le matériau ne s’écroule au moment de l’extrusion.”
Voila une difficulté qui nous semble représenter un frein, si ce n’est une impossibilité d’imaginer un futur réel à cette technique spécifique.
Béton classique (de Chine)
Certains misent plus sur des bétons classiques, toujours par dépose successive de couches. Ces bétons, nous dit l’inventeur dans une vidéo, sont constitués de déchets recyclés et de ciment, probablement les fameux géopolymères que nous avons déjà abordés, avec les limites de disponibilité relevées. Et comme l’indique WinSun Decoration Engineering Co, ses structures sont conçues pour apporter l’isolation nécessaire. A la vue de ce qui nous est présenté, les chinois n’ont probablement pas la même approche des exigences thermiques que, nous, européens. Alors, comme pour les autres voiles, très légers, il faudra renforcer l’isolation …
Un autre industriel chinois mise sur des murs plus classiques au niveau de l’épaisseur et des armatures.
Isolant. On n’imprime plus du béton mais un isolant (de France)
Ici, avec l’expérimentation de Batiprint, nous découvrons une approche très originale : imprimer un isolant d’origine pétrochimique, probablement proche des isolants polyuréthane projetés. Ça semble plus facile à maîtriser : un mince filet d’isolant qui, au contact de l’air, va s’expanser. Si la prise est assez rapide, il va être facile de superposer les couches par passages successifs. Deux parois sont ainsi imprimées, bien sûr parallèles et relativement proches l’une de l’autre. Après qu’elles auront réalisé leur expansion et que la prise sera stabilisée, un béton sera coulé dans l’espace qui les sépare, avec et par la même imprimante.
Nous n’avons pas réussi à savoir si un ferraillage est requis pour compléter les armatures de poteaux clairement identifiables sur les images ou vidéos des reportages.
Bouygues construction soutient ce projet.
Si, sur le plan de l’impression, cette technique semble pertinente, nous n’en dirons pas de même pour ce qui est des matériaux utilisés. Nous avons déjà abordé ce que nous reprochons aux isolants polyuréthane d’une part et à leur combinaison avec le béton en sus, ceci dans l’analyse que vous pouvez découvrir ou redécouvrir ici : “Euromac et lafarge, un partenariat aux allures de Greenwashing” et “MACC3, un système de construction vertueux ?”. Pour rappel : provenance de ressources fossiles, très forte consommation d’énergie grise, pas de perspirance digne de ce nom, “déstockage” de CO2 piégé depuis le carbonifère, extrême difficulté de recyclage, médiocre déphasage …)
Avec cette solution imprimée, nous pensons que les industriels sont allés au bout d’un process que nous regrettons vivement tant il va à l’encontre de la salubrité des maisons, donc de la santé des occupants. Ces systèmes vont également à l’encontre de la nécessaire prise de conscience de l’état de notre planète et de l’impact que de telles solutions peuvent avoir sur le dérèglement climatique.
Nous venons de le voir, plusieurs matériaux
Chacun impose un type de machine et une technologie qui, si elle consiste toujours en un dépôt de matière par couches successives, n’en requiert pas moins des spécificités différentes.
Une analyse fine de chaque technique nous en apprendrait probablement beaucoup. Une approche simple permet cependant de mettre en évidence quelques tendances.
En dehors de la solution à base de boues, laquelle pourrait laisser espérer une bonne perspirance des parois, les autres solutions sont à base de bétons, probablement les uns et les autres d’ailleurs de type polymères.
Ils ne sont pas en capacité de s’auto-suffire au plan des performances thermiques. Il faudra donc en compléter l’isolation. Compte tenu de l’architecture des parois et de la disposition des structures internes de ces parois, ce ne sera certainement pas chose facile.
Au plan perspirance, sa faible efficacité imposera de prévoir des systèmes de renouvellement d’air très performants.
Nous ne reviendrons pas sur la solution combinant la double impression de polyuréthane et l’injection ultérieure de béton dont nous avons déjà largement évoqué ce que nous en pensons.
Quels seraient les nouveaux apports de cette technique 3D ?
Apport des outils mécaniques
Comme l’imprimerie, inventée par Gutenberg, a permis de normer et reproduire des textes plus vite et mieux, les outils mécaniques ont permis de produire des éléments plus droits, plus lisses. Ils ont permis également un gain de temps important et une économie de la fatigue des œuvrants.
Apport de la conception assistée par ordinateur
Grâce à la CAO, il a été beaucoup plus simple de concevoir, organiser, visualiser un projet, un peu comme le traitement de texte pour la visualisation et la correction d’un texte ou d’une œuvre.
Apport de la commande numérique
Avec l’avènement de ces machines, plus de défaut de traçage, de taille, que des pièces parfaites. On a mis l’erreur de réalisation hors de toute possibilité de se produire. Ne reste plus qu’à assembler ! Ces machines, à l’identique des imprimantes 2D, permettent de passer du virtuel au réel.
L’imprimante 3D
La grande différence avec l’impression des textes, c’est qu’il n’y a pas eu une nouvelle fonction, il y a eu substitution de modes opératoires. Ici, c’est une nouvelle chose qu’on envisage, une révolution totale : on n’assemble plus une maison, on la créée de toutes pièces en place. On ne se contente plus de substituer des modes opératoires à d’autres modes opératoires. On change tout le process ! Changement total de paradigme.
Une question, la seule qui vaille : est-ce mieux ?
La qualité est-elle meilleure ?
Il est souvent dit que les machines sont plus régulières dans leur travail qu’un ouvrier, que la qualité de ce qu’elles produisent est plus régulière, ce qui est généralement défendu par opposition aux supposées défaillances ou, fatigue (réelle) de celui qui œuvre.
Qualité de l’ouvrage
Au regard de ce qui nous est présenté, difficile de dire que c’est mieux. Ça n’est pas plus d’aplomb ou de niveau, ça n’est pas plus plan ou courbe, c’est simplement conforme au dessin de l’architecte, comme ça doit l’être, ni plus ni moins.
Par contre, pour ce qui est des états de surface, nous constatons plus une régression qu’un gain, en tout cas en l’état actuel de la technologie
Qualité environnementale, aspect écologique
Les matériaux que ces imprimantes 3D peuvent mettre en œuvre existaient tous préalablement à l’invention de ces machines, au moins en connaissions-nous des variantes proches.
Ils sont tous d’origine fossile, certains sont très énergivores à la fabrication. Ils ne sont pas perspirants, ce qui est un handicap important au plan salubrité et donc peuvent générer des conditions dangereuses pour la santé des occupants.
Ils ne permettent pas l’économie d’autres matériaux, tels que les isolants par exemple.
Ils sont tous manufacturés et transformés afin de leur procurer leurs qualités.
Les matériaux natifs, même la boue, ne sont pas facilement, voir pas du tout, utilisables dans ces imprimantes.
Les matériaux biosourcés et/ou localement disponibles sont donc, de facto, exclus d’emploi.
L’emploi de ces imprimantes ne facilite pas le passage des gaines, tuyaux, câbles ou fils des réseaux électricité, plomberie ou chauffage, bien au contraire.
Apport au génie créatif
La technique n’est quasiment jamais une aide à la créativité, sauf à permettre des portées ou reprises de charge impossibles jusqu’alors, ou à permettre une réduction de section de certains éléments. Sincèrement, nous ne voyons rien de tel en terme d’apport. Donc, si ça n’est pas une réduction des capacités créatrices, ça n’est pas non plus un gain.
Y-a-t-il un avenir à ces techniques ?
Oui, certainement mais pas comme on veut nous le vendre.
Leur avenir se situe non pas sur les chantiers même, mais en atelier, pour la production d’éléments pré-fabriqués.
Tout comme aujourd’hui on livre des escaliers pré-coulés en béton et mis en œuvre avec une grue, on pourra probablement livrer d’autres escaliers, mais plus fins, plus légers, plus aériens. Il y aura aussi à gagner au plan de voiles préfabriqués (exemple le MuCEM à Marseilles) ou de poutres précontraintes. Ces gains en matière contribueraient à la baisse de consommation des ressources fossiles, à la baisse des coûts de transport et manutention car moins lourds.
Tout comme l’apparition des commandes numériques, conjuguée à l’optimisation des dimensions et sections grâce aux calculs, ont permis d’économiser de la matière et du temps en charpente, ces imprimantes, conjuguées à la CAO, devront permettre d’économiser des bétons et du temps pour les constructions faisant appel au béton. Le travail sera ainsi réalisé sous abri, donc non soumis aux intempéries, mais sans nécessiter la mise sous cloche géante des impressions sur chantier tel qu’on le voit aujourd’hui.
Conclusion
Pourquoi un tel engouement pour ces imprimantes ?
C’est ce qu’au 19e s Ernest Renan appelle le scientisme.
Les chercheurs, ingénieurs, découvreurs veulent toujours, et c’est bien normal, pousser à l’extrême les possibilités de leurs inventions. Les réalités “du pied du mur qui permet de juger le maçon” permettront à ces techniques de trouver leur juste place.
Nous avons bien conscience, avec les positions développées ici, de nous inscrire dans le sens opposé à la mode actuelle. L’avenir nous dira ce qu’aura été le sens de l’histoire, notre vision sera-t-elle confirmée ?
Pourquoi avoir classé cet article comme greenwashing ?
Parce que toutes les présentations des différentes machines des matériaux et/ou techniques nous expliquent, entre autres, comment, grâce à elles, nous allons réduire notre impact sur la planète, économiser l’énergie, réduire les consommations de ressources dont, et nous en sommes heureux, on nous dit qu’elles sont précieuses, que l’homme, grâce à elles, va se libérer de tâches pénibles et, au final, qu’avons-nous constaté à l’analyse :
- les matériaux utilisés existaient avant l’invention de ces machines,
- nous n’en connaissons pas la durabilité, ils sont difficilement recyclables, et ils le seront encore plus lorsqu’ils seront intimement mélangés à l’isolation qu’il va bien falloir leur ajouter,
- il va falloir isoler, probablement autant qu’avec les techniques conventionnelles,
- on va complexifier certaines interventions ultérieures de second œuvre,
- le recyclage de déchets dans ces techniques n’est qu’un leurre puisqu’ils sont déjà utilisés et qu’on est à la limite de regretter leur recul,
- si elles sont adoptées en l’état des présentations, au lieu d’aller vers des habitats plus respectueux de l’environnement et des occupants, toutes ces techniques vont nous fournir des maisons non perspirantes, à base de matériaux dont nous n’avons aucune connaissance réelle …
Nous avons une autre vision de la construction écologique, de l’écologie plus largement.