Des blocs creux en polystyrène à empiler et remplir de béton, voilà une alliance qui ne pouvait pas nous laisser indifférents. Et c’est à grand renfort de communication que les deux nouveaux alliés nous présentent leur solution constructive “novatrice” sur tous les médias. « Le mardi 20 juin, Jean-Marc Golberg DG Bétons de Lafarge et, Michel Kratz, Président d’EUROMAC 2 ont signé un contrat de partenariat national qui associe Lafarge et EUROMAC 2, premier fabricant Européen de Blocs Coffrants Isolants. »
Nous nous sommes donc penchés sur l’un de ces articles, paru en juillet 2017, sur batiactu, grande revue web d’information concernant le bâtiment.
Voyons si cette alliance va, effectivement, permettre l’émergence d’une solution nouvelle pertinente.
Historique et présentation de chacun
Le groupe LAFARGE
Le groupe Lafarge, ex leader mondial du ciment, en tant que tel, n’existe plus depuis sa fusion avec le groupe suisse Holcim, N°2 mondial. Cette fusion a donné naissance au groupe Lafarge Holcim
La partie française, que nous appellerons encore Lafarge, est à lui seul impressionnant.
Nous découvrons sur son site qu’il a été fondé en 1833, qu’il compte 4 500 collaborateurs répartis sur 400 sites, qu’il est le N°1 du ciment et le N°3 des agrégats, tout ça seulement sur notre territoire … et il est présent dans 61 pays dans le monde !
Leader des matériaux de construction – béton, ciment et granulats – Lafarge France contribue à la construction des villes avec des solutions innovantes pour les rendre plus accueillantes, plus compactes, plus durables, plus belles et mieux connectées.
Ça commence bien.
Qu’en est-il de leur abord des affaires ?
Lafarge France respecte une éthique dans la conduite de ses affaires et encourage ses collaborateurs à la mettre en œuvre avec les fournisseurs et partenaires commerciaux.
Et en ce qui concerne la planète ?
Le développement durable est une composante clé de notre stratégie d’approvisionnement, de nos opérations quotidiennes et de nos relations avec nos Fournisseurs.
Et ça continue sur le plan des projets :
Chez LafargeHolcim, nous souhaitons être un leader du développement durable et établir de nouveaux standards en la matière. Le Plan 2030 doit nous permettre d’atteindre cette ambition.
Le dernier chiffre d’affaire connu de Lafarge seul (2014) atteint presque 13 milliards d’euros pour, entre autres, 116 millions de tonnes de ciment et 161 million de tonnes d’agrégats vendus..
Vous l’avez compris, on a affaire à du lourd, du très lourd !
Euromac2
Euromac2 est implantée en Alsace. Selon ses propos “Classée parmi les 60 meilleures PME françaises”, elle compte 100 salariés et 60 conseillers. . Elle réalise un chiffre d’affaire de 20 millions d’euros. Avec plus de 40 ans d’existence elle livre plus de 1500 chantiers par année. Elle est leader européen sur son marché.
C’est moins lourd que Lafarge mais bien des chefs d’entreprise aimeraient afficher de tels résultats !
Euromac 2 est certifié Passivhaus Institute, gage de performance isolante de haut niveau
Le Groupe EUROMAC 2 est engagé dans une politique de progrès continu en matière de santé, de sécurité et de préservation de l’environnement en conformité aux exigences réglementaires. Les productions d’EUROMAC 2 font l’objet de programmes de contrôle rigoureux …
… Les acteurs posés, voyons le projet !
Des blocs emboitables à remplir
C’est ainsi qu’il nous a semblé le plus simple de présenter le concept.
La partie Euromac
En effet il s’agit de blocs composés de deux parois extérieures, reliées entre elles par un ferraillage. Ces blocs sont dépourvus de fond. A la manière des jouets bien connus, ils sont pourvus de sortes de tétons qui viennent s’emboiter dans des empreintes femelles. L’ensemble est extrêmement astucieux et les temps annoncés pour leur assemblage semblent confirmer l’impression de facilité de mise en œuvre qui se dégage de l’ensemble. Au fur et à mesure du montage de l’ensemble des blocs, il faut insérer les ferraillages d’armature. Pour des facilités de mise en œuvre des blocs de dimensions diverses sont disponibles.
Qui n’a pas assemblé ces petits blocs jouets qui ont ringardisé les mécanos et … pris plaisir à le faire ?
Lors de l’arrivée au niveau de la dalle, des éléments porteurs type hourdis géants prennent le relais et, le tout est couronné par des éléments de toiture. Tout cela est, quelque part, assez génial de simplicité et d’efficacité dans le process de construction.
Une fois assemblés, ces éléments creux amènent une étanchéité suffisante pour recevoir du béton.
La partie LAFARGE
Ce bel assemblage ne peut rester en l’état, il faut transformer l’empilage des éléments en parois porteuses. Ceci se réalise par coulage de béton.
Jusqu’à récemment, cela se faisait avec un béton classique, il fallait le vibrer afin d’en assurer une parfaite répartition, un bon enrobage des ferraillages et l’élimination des bulles d’air.
Or, la vibration du béton entraîne une poussée des parois qui le contiennent, ce qui obligeait à opérer le remplissage sur des hauteurs limitées. Ceci présentait un handicap important : pour mettre en place le béton dans les parois, il fallait, compte tenu du faible volume mis en œuvre à chaque phase, soit le brasser sur place à la bétonnière, soit le faire livrer en toupie incomplète, donc en augmenter le prix au m3. Compte tenu du faible volume concerné, il était difficile de le faire mettre en œuvre par une pompe à béton, facturée au forfait de déplacement et à l’heure d’intervention. Les faibles quantités concernées rendaient son surcoût difficilement amortissable
Le plus souvent le béton était brassé sur place à la bétonnière et mis en place à la brouette et au seau.
Pour éviter ces inconvénients, Lafarge, sous sa marque Agilia ,a développé un béton dit “auto-plaçant” et “auto-lissant”. Grâce à une composition particulière, une granulométrie faible des agrégats et, nous supposons, l’ajout de quelques adjuvants ce béton est coulé très liquide, ainsi il se glisse facilement partout, y compris, dans le cas présent, entre les ferraillages et les blocs isolants.
Sa nature très liquide évite de devoir le vibrer, ce qui permet de le couler sur de grandes hauteurs. Il s’étend à plat pratiquement tout seul. Toutes ces évolutions permettent de le commander en plus grande quantité, ce qui rend possible sa livraison par toupie et sa mise en place par pompage, ce qui réduit considérablement les besoins de main d’œuvre.
Bravo, belle évolution … a priori !
Ce qui nous pose problème, ce n’est pas la technique, bien au contraire. Nous sommes même plutôt admiratifs des capacités à innover qui ont permis d’aboutir à ce que nous venons de décrire. Par contre les blocs sont réalisés à base de polystyrène et le béton, même innovant, reste du béton.
Alors que pouvons-nous en dire ?
Partie polystyrène
Les affirmations sont rassurantes :
Le PSE est un produit sain qui a un effet bénéfique sur la qualité et le confort de vie des habitants
Quel effet bénéfique :
- la faible perspirance du polystyrène, elle qui limite la bonne gestion de la vapeur au travers des parois ?
- ses faibles capacités en déphasage, pourtant nécessaire à la bonne stabilité de la température, gage de confort l’hiver ?
- les émanations en cas d’incendie domestique ?
Isoler en polystyrène a un impact favorable et contribue de manière significative à l’amélioration de l’environnement. Le PSE ne nécessite que de la vapeur d’eau …
Quel impact favorable :
- le PSE contribue à la sauvegarde des ressources naturelles : peut-être, mais ne serait-ce pas au détriment des ressources fossiles qui, elles, contrairement aux ressources naturelles, ne sont pas renouvelables ?
- préservation de la couche d’ozone : certes, les CFC sont interdits depuis longtemps, les HFC vont l’être un jour, alors quel agent de gonflement, le penthane, le HFO? Car il en faut un, nous l’avons lui aussi passé au crible ici dans un article intitulé : Mousse isolante HFO, greenwashing ou pas ? Son impact n’est pas sans effet en tant que gaz à Effet de Serre.
Entièrement recyclable, le PSE n’est pas polluant et, contrairement à d’autres produits d’isolation dits « naturels », il s’impose comme un matériau à privilégier
Sincèrement, trop c’est trop. A quel titre cette position serait-elle justifiée ?
- le polystyrène est d’origine pétrochimique, ressource non renouvelable,
- bien qu’annoncé recyclable, il ne l’est que difficilement et, de plus, que non mélangé à d’autres éléments. Qui le séparera du béton et des crépi ? N’ayant pas eu accès à la fiche FDES (pdf) des produits Euromac, voici un lien vers celle d’un autre fabricant, la partie recyclage est développée en fin de fiche, c’est très édifiant !)
[Edit 01/09/2017 – suite commentaire] Il s’agit de la fiche d’un extrudé et non d’un expansé mais les contraintes de recyclabilité sont les mêmes et nous ne faisons état de cette fiche qu’à ce titre. [Fin Edit] - il nécessiterait peu d’énergie pour sa production, ce n’est pas l’avis de JP OLIVA et S COURGET, auteurs du livre “L’isolation thermique écologique” aux Ed. Terre vivante qui, eux, annoncent qu’il faudrait, par exemple, environ 10 fois plus d’énergie pour fabriquer du polystyrène plutôt que de la ouate de cellulose, par exemple.
- Le polystyrène présente des risques importants pour les occupants en cas d’incendie du fait des émanations possible sous l’effet de la combustion ou de la pyrolyse s’il est ignifugé, ce qui est tout aussi dangereux. Ceci est expliqué clairement sur ce document au format pdf émis par l’Institut National de Recherche et de Sécurité (INRS) intitulé Produits de dégradation thermique des matières plastiques
Partie béton
Lafarge a beau nous dire que leurs objectifs sont de “contribuer à la construction des villes avec des solutions innovantes pour les rendre plus accueillantes, plus compactes, plus durables, plus belles et mieux connectées”, ceci avec respect de la planète : “Le développement durable est une composante clé de notre stratégie d’approvisionnement, de nos opérations quotidiennes et de nos relations avec nos Fournisseurs”, un chat reste un chat et du béton … du béton.
Nous avons déjà publié ici un article qui traitait du béton : Cembox, un écobéton pas si écolo ! Nous y avons développé quelques points que nous rappelons ici :
“Quelques données concernant le béton :
- Ciment : 5% des émissions mondiales des gaz à effet de serre Rapport de développement durable 2011 – Lafarge (pdf) page 11 § “Changement climatique”,
- le ciment, c’est aussi des émissions de NOx, gaz hautement toxiques et à fort pouvoir GES
- n’oublions, au titre des émissions, celles de SO2, Dioxyde de soufre – Wikipédia, en partie responsables des pluies acides,
- sachant que le béton, ce sont aussi des agrégats qu’il faut extraire, de l’eau et du transport, combien d’émissions au total ?”
- le béton au cible,nt Portland est la première cause de l’épuisement des réserves mondiales de sable.
Le facteur de résistance à la vapeur d’eau (dont dépend la perspirance) du béton au ciment Portland est médiocre, gage pourtant de salubrité de l’habitat et de confort de ses occupants. (selon l’ouvrage “L’isolation thermique écologique” de JP Oliva et S Couget, ed. Terre vivante, il est de 70 / 130, à comparer à un béton de chanvre et chaux qui, lui, affiche 10 / 13 ou du pisé : 4 / 10 …)
Nos conclusions
Ce principe constructif est bien pensé, il est rapide et, probablement, économique. Il est à la portée de tout autoconstructeur un tant soit peu averti, la manutention des blocs est aisée car ils sont légers. Le bâtiment sera étanche à l’air, il ne comportera pas de pont thermique. Il pourra être certifié Passivhaus (pdf).
Cependant, les matériaux choisis, tant le polystyrène des blocs que le béton de remplissage ne sont pas respectueux de l’environnement, ou plutôt, comme eux n’y sont pour rien, leurs fabricants ne favorisent pas le respect de l’environnement, ni pour aujourd’hui, ni pour demain.
Ils ne sont que très difficilement, voir pas du tout recyclables. Leurs bilans carbone ne sont pas bons, leurs Analyse de Cycle de Vie non plus. Les occupants ne disposeront pas, avec ces matériaux, du meilleur possible en terme de santé et de confort.
Nous avons ici une preuve de plus que le classement d’une maison au niveau de sa performance thermique (Passivhaus) n’a malheureusement pas de corrélation avec le confort et la sécurité qu’elle va procurer à ses occupants. Quand sortirons-nous du dictat des normes et labels ?
Au vu de ces éléments, il n’y a, pour nous, aucun doute : ce concept, porté par Lafarge Holcim et Euromac 2, quoi que revendiquent ses initiateurs pour nous faire croire qu’ils œuvrent dans un sens écologique, ne s’inscrit pas du tout dans ce cadre. S’il présente quelques pertinences techniques, il relève totalement du greenwashing pour ce qui est du respect de la planète et de ses occupants.
Notre conseil : Même si la facilité de mise en œuvre est tentante, n’oubliez pas qu’une maison se doit, avant tout, d’être saine pour ses occupants et respectueuse de l’environnement.