Ecolieu, co-habitat : en connaître les contraintes, pour bien s’y préparer

Remise Partenaires

Cet article est né de la lecture d’un post facebook. Sur un groupe dédié aux écolieux, un membre lançait une discussion sur “les histoires désagréables, les mauvais côtés ou les trucs moches” auxquels devrait se préparer tout candidat à la création ou l’intégration d’un écolieu. Son idée étant de recueillir les expériences négatives de “ceux qui l’ont déjà vécu”, idéalement pour profiter de leurs échecs afin de ne pas les répéter. Une sorte de “et si c’était à refaire” qui pourrait être bénéfique à tous. 

 

Facebook étant ce qu’il est, il a fallu trier un peu pour faire abstraction des trolls, des énervés, des donneurs de leçons et des nombreuses répétitions. Mais une fois ce ménage fait, il s’avère que la question intéresse. Et les réponses au moins autant.

Un écolieu qu’est-ce que c’est ?

Ecolieu, oasis, éco-hameau, éco-village, éco-quartier, il existe des nuances entre ces différentes appellations. Mais dans les grandes lignes, toutes se rejoignent sur la notion de partage d’un lieu et de valeurs,  écologiques et permacoles, incluant notamment le respect de l’humain dans son intégralité, le respect de l’animal et de tout ce qui vit, ainsi que le respect de l’environnement. Tous leurs membres ont également à cœur d’y vivre dans un habitat à la fois durable et écoresponsable. Dans tous, au-delà du lieu développé ou à développer, il est question de vie à plusieurs, que ce soit entre deux-trois familles ou à plus d’une centaine d’individus. 

En général, toute personne qui projette sa vie dans un co-habitat a en commun avec ses pairs :

  • un rêve de vie plus douce, connectée à la nature, 
  • avec des poules en liberté, 
  • des enfants riants qui mangent des mûres, observent les escargots ou font des cabanes dans les bois, 
  • un potager partagé où chacun met en commun production et labeur pour le bonheur du bien manger, 
  • des envies d’entraide et de solidarité bienveillante, 
  • l’espoir confiant de construire un autre monde, idéal. 

Pour qui est sensible à ces valeurs, c’est vrai que l’image est séduisante. D’où sa naissance et sa renaissance, des années 70 à aujourd’hui.

Cependant, entre la photo souriante du départ et la réalité après les premiers hivers, il y a parfois un décalage. Beaucoup s’y sont cassé le nez. Mais plutôt que de dire “ça ne marche pas”, il peut être intéressant de profiter des écueils des précurseurs pour « améliorer le produit”, pour reprendre une expression de l’autre monde, celui qui se rit de cet idéal de vie. D’où la pertinence de la question sur Facebook.

Habitat groupé, les points clés pour que ça marche

A la lecture des nombreux commentaires, de grands points clés se dégagent : 

  • le site
  • le cadre juridique et les questions d’argent au sens large
  • la gouvernance 
  • la répartition des tâches
  • l’intimité.

Ce sont d’ailleurs les cinq piliers mis en avant par Sophie Rabhi pour garantir la pérennité d’un projet collectif. Et si on est adepte de la culture de l’échec, chère à la vision entrepreneuriale américaine, celle qui voit dans la faillite d’un précédent projet un atout pour réussir les suivants, on doit pouvoir lui faire confiance en effet.  Son expérience au Hameau du Buis, de la naissance du projet à sa fin, fut sans doute source de nombreux apprentissages !

Le site et son aménagement

Le lieu devra a minima, “offrir de l’eau et assez de terres écologiquement saines pour garantir la plus grande  autonomie alimentaire”. Le bâti lui aussi devra être suffisant afin que les besoins de chaque membre puissent y être développés sans friction.

Sans doute l’ensemble ne sera-t-il pas immédiatement parfait et nécessitera des travaux. Un planning est recommandé pour les différents chantiers d’aménagement (construction d’un poulailler, mise en place des grillages autour des parcelles, changement de la cuve d’eau, etc…), avec des dates et des noms de personnes. Le “il faut faire” s’avère souvent un peu trop flou ! On ne sait pas toujours qui est “il”. 

L’expérience montre aussi qu’il est sage de multiplier a minima par deux les durées initialement envisagées. “Surtout si votre projet se trouve à une demi-heure de tout magasin de bricolage, matériaux ou autre. Sans parler des aléas, des pannes, des choses auxquelles vous n’aurez pas pensé… Un autre conseil serait de relativiser lorsque le planning n’est pas tenu, mais ça, c’est fonction des personnes, n’est-ce pas”

Cadre juridique et argent

Le point juridique est d’autant plus à surveiller que souvent, dans l’idéal d’un “ monde différent », les candidats sont souvent tentés de le mépriser. Partage et solidarité étant souvent des moteurs du changement de vie, nombreux sont ceux qui rêvent de se détacher des notions d’argent et de propriété. Malheureusement, la route est longue avant d’atteindre cet autre monde-là, et mieux vaut anticiper les moments où elle risque de devenir escarpée, y compris autour de ces questions. 

Qui est propriétaire ? Qui paie ? Qui est responsable de quoi dans l’habitat coopératif ? Qui gouverne, pourquoi, comment ? Comment se prennent les décisions, qu’est-ce qui est privé, commun ? Sur quels critères d’autres membres pourront intégrer le projet par la suite… 

Même si ces points font très “monde d’avant”, l’expérience montre qu’il vaut mieux les avoir clairement posés, pour anticiper sur chaque éventuel problème. Cela les rendra d’autant plus simples à gérer lorsqu’un ou l’autre se présentera. 

Cela passe avant tout par la vérification que les intérêts de chaque membre sont bien convergents et que chacun est au clair avec l’objectif de l’écolieu. Cela semble évident mais certains candidats sont si pressés de “changer de vie”, qu’ils préfèrent ignorer ce type de » détail » qui frotte. 

Une fois cet aspect validé, vient le choix du montage administratif et financier et de son impact pour chacun des membres. SCI + association ? SARL + SCOP, coopérative à but non lucratif  ? De très nombreuses possibilités existent. Reste à trouver la plus juste selon le cas.

Il faudra également veiller à la rédaction des statuts, aux modalités de départ si un jour quelqu’un souhaite quitter le projet, aux différents points du règlement intérieur, aux conditions d’utilisation et d’entretien des biens et des lieux communs et privés, aux conditions d’accueil des familles et des invités… “Faire lire et signer la charte sur les règles de base vie collective, ça n’est pas à négliger !”

La présence des animaux est un autre point qui peut devenir problématique. Qui s’en occupe ? Qui est responsable si un chien mord un enfant ou mange des poules chez le voisin, qui paie le prix de la clôture pour éviter que ça ne se reproduise ? Qui indemnise le voisin pour les dégâts ? Attention au changement de vie des chiens et chats qui peut aussi les impacter en termes de puces, tiques, blessures, accidents, … D’autres frais qui s’ajoutent au reste .

Poser toutes les questions avant qu’elles ne deviennent des problèmes semble être gage de sérénité. Pour reprendre les mots de Sophie Rabhi : “La confiance se fonde sur le cadre, et non l’inverse”

Dans la rubrique argent toujours, on relève le bien fondé de chiffrer correctement les dépenses à la création du lieu, très souvent sous-évaluées : “Vous allez probablement solliciter votre voiture un peu plus que d’habitude. Probablement dans des conditions spéciales comme l’évacuation d’encombrants, le transport de bois de chauffage, le transport de tonne à eau (c’est d’ailleurs pour ça que vous allez peut-être prendre la décision de vous acheter un 4×4, un tracteur, une mini-pelle). Dans ce cas, prévoyez qu’il est fort probable que votre voiture tombe en panne plus fréquemment que d’habitude. Doubler de vigilance concernant les contrôles classiques et prévoir un budget et du temps pour l’entretenir n’est vraiment pas inutile”

Dans l’ensemble, on retiendra le conseil de “multiplier par deux toute estimation initiale”. Au début, les prix sont souvent estimés à l’aveugle et les impératifs mal anticipés. Le réveil peut être un peu vif. “Selon où vous vous trouvez, une serre est purement indispensable et doit être l’une des premières choses à mettre en place . C’est tout de suite 7 000 euros si on compte vraiment toutes les dépenses. Arceaux, bâches, câbles, transport et location de matériel pour la pose”. Ça commence à faire un budget ! 

On le voit, même dans “l’autre monde” l’argent reste un sujet important. Certains trouvent des aides grâce au financement participatif; mais ça ne fonctionne qu’un temps et ça ne règle pas tout.

Le facteur humain

Arrive ensuite le cadre relationnel, bien connu sous le sigle PFH ou “putain de facteur humain”

Une fois évacuée l’éventualité d’être tombé sur un gourou mal intentionné (c’est rare mais ça peut malgré tout arriver), la question de la gouvernance doit être posée. Partagée ou pas ? 

Souvent, le souhait commun tend vers des prises de décisions collectives. On appelle à la bienveillance, l’empathie et la CNV (communication non violente). Les trois ont déjà fait leurs preuves mais ne sont pas les garants absolus de choix toujours fluides et de douceur dans chaque prise de décision. “Même lorsque les gens sont de bonne foi, le souci vient souvent de la difficulté à couper avec ce qui fut l’exemple pendant toute la vie jusque-là” lit-on sur le fil Facebook. Ce que Sophie Rabhi dit ainsi : “Ayant subi la violence éducative ordinaire et ayant grandi majoritairement dans la relation dominant-dominé, nous sommes incompétents pour vivre spontanément le paradigme juste et empathique auquel nous aspirons. Dessiner un monde nouveau en s’appuyant sur des réflexes anciens, c’est forcément compliqué”. Il n’y a pas de solution miracle, mais des outils recommandés : CNV donc et également jeu du Tao, cercles restauratifs, médiations, stages de permaculture humaine, dispensés ou supervisés en interne ou par des tiers extérieurs au projet . A Tera, cela s’appelle “redessiner la démocratie”. Cela ne garantit pas que l’entente sera parfaite et les choix idéaux pour tous, mais là aussi, “cela pose le cadre minimum pour gérer au mieux les conflits humains. C’est une garantie d’écoute et de compréhension de l’autre, pour des prises de décisions le mieux vécues possibles, malgré l’hétérogénéité des personnes”, est-il confirmé  ailleurs sur Facebook.

“Ce pilier est un travail quotidien qui demande de l’engagement et de la détermination. Sans trop se prendre au sérieux non plus”, nuance Sophie Rabhi. “Rires, légèreté et accueil bienveillant de nos limites sont de bons gardiens de la convivialité… Une gouvernance dynamique et les espaces numériques collaboratifs qui lui sont associés permettent à chacun·e de trouver l’espace pour s’exprimer, déposer des tensions, trouver du soutien, évoluer dans la structure dans la transparence et l’équilibre entre besoins personnels et besoins de l’organisation. L’ouverture sur les autres, l’environnement, le voisinage, le monde sont indispensables pour limiter l’entre-soi”. Autrement dit : ne pas rester à tourner en vase clos.

Autre conseil, peut-être le premier à suivre avant de plonger dans son propre projet : “Ne pas se lancer à l’aveugle. Il est important de découvrir des lieux pour comprendre ceux qui nous correspondent, d’y passer du temps pour se tester, pour comprendre qui on est, ce que l’on veut”.  Des listes de collectifs existent, sur le réseau Colibris ou Build-green.fr….

Qui fait quoi, pour qui, pourquoi ? La répartition des tâches

Si on n’y prend garde, l’implication personnelle pour le collectif peut être un autre point de frictions. Comme dans toute famille, même les plus classiques où on se chamaille aussi sur le nombre de fois où l’un ou l’autre a mis la table, rempli le lave-vaisselle ou fait le repas pour tout le monde. 

Que le groupe opte pour un fonctionnement où chacun prend “son tour” dans chacune des tâches ou qu’on y fasse un distingo selon l’âge, le sexe, les forces physiques, les goûts et compétences de chacun, il semble partout important que chaque résident de l’éco-hameau investisse de son temps et de son travail pour le collectif. L’alternative  “j’ai mis plus d’argent que toi dans le projet donc il est “normal” que tu y investisses plus de ton temps” semble être source d’échec garanti. Contribuer, créer, valoriser l’activité pour le commun donne un sens fort à chacun. C’est un moyen de ne pas se contenter de “vivre sur les lieux” mais de “faire le lieu” ensemble. Cela rend chacun responsable de la bonne santé de l’organisation. 

Habitat participatif dans l'Hérault (FR-34)

Habitat participatif dans l’Hérault (FR-34)

L’intimité dans le collectif

Fort des échecs du passé et notamment des années 70, les amateurs de collectifs ont pour la plupart retenu que si le commun peut rendre plus fort (riche, heureux, chacun y ajoutera les adjectifs qui lui parlent), l’humain reste aussi un animal solitaire qui a besoin d’intimité. Chacun a besoin quelquefois d’un lieu refuge pour respirer, prendre du recul, écouter le silence et/ sa voix intérieure, protéger sa singularité, construire sa cellule familiale, amicale, personnelle, s’assurer qu’on existe toujours tout seul. Même si on aime le groupe.

Prévoir ce lieu refuge, qu’il soit “habitat personnel” ou “cabane indépendante” ne doit pas être une option. Et si “au départ c’est un peu compliqué”, il est primordial que les premiers travaux soient réfléchis pour rendre rapidement ces bulles possibles. 

 

En conclusion :

Commençons par rappeler que, même si cet article a pour sujet “histoires désagréables, mauvais côtés ou trucs moches du collectif”, il en existe de très joyeux. Vivre en accord avec ses idées dans un habitat sain en plein cœur de la nature, entouré de personnes inspirantes avec qui il est possible de partager des moments heureux et également moins heureux, où l’entraide et la solidarité sont fortes, c’est possible. Des collectifs solides et inspirants vivent et poursuivent sereinement leur expérience réussie. D’autres peuvent donc être créés, en profitant des expériences passées et des conseils de ceux qui les ont vécues :

  • Être au clair avec ses attentes et vérifier qu’on les partage avec les gens qui nous entourent.
  • Poser les rêves, les moyens, les problèmes sur la table et tous les considérer, sans se mentir.
  • Ne pas s’isoler à l’intérieur du collectif, s’ouvrir. Et pourquoi pas, créer des liens de collectifs à collectifs. L’entraide d’un collectif à l’autre peut être aussi intéressante.
  • Expérimenter en amont, s’immerger dans des  lieux existants pour s’en inspirer ou au contraire, pour ne surtout pas faire pareil.
  • Questionner soi et les autres, régulièrement. Et si possible, se faire accompagner par un professionnel ou un réseau compétent au montage de tels projets, comme la coopérative Oasis

Bref, la jouer à fond collectif. Et se lancer. En se souvenant du joli proverbe anglo-saxon “where there’s a will there’s a way” qu’on peut traduire avec ces mots : “là où il y a un rêve, il y a un chemin”. 

 

Vous en avez vraiment envie ? Alors osez !

Et n’hésitez pas à partager votre expérience en commentaire.

Crédit photo image de Une : Build Green (Ecolodo à Verneuil d’Anjou – FR-49)

Anne-Cécile S. MICHELET on Linkedin
Anne-Cécile S. MICHELET
Journaliste, rédactrice, storyteller, auteure
J'aime écrire et aussi comprendre, apprendre, chercher le sens et des réponses aux 1000 questions que je me pose. Et puis transmettre.
Je m'intéresse à l'éco-habitat, aux entrepreneurs qui agissent pour un monde sensé, à l'écologie, l'intelligence, la philosophie, la transmission des savoirs, l'enfance, l'humain, la nature, les cultures, les liens, les langages, le sens de la vie… 

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