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Chantier participatif : du rêve à la réalité

L’uberisation de la société offre des perspectives nouvelles dans de nombreux secteurs d’activité. Passé outre le circuit traditionnel des professionnels de la filière peut s’avérer une bonne affaire. Et le bâtiment n’échappe pas au phénomène. Alors, faut-il céder à la mode ? Regardons de plus près cette tendance qui tente de pénétrer les domaines de l’habitat écologique et de l’éco-construction.

Le principe

A l’origine, le chantier participatif était une pratique d’entraide extrêmement répandue dans nos campagnes, appelée aussi corvée (vidéo), qui pour construire une ferme, qui pour monter un hangar, on demandait la participation de ses voisins et amis du village pour terminer le chantier au plus vite. Bien souvent, le bénéficiaire avait déjà participé soit à d’autres chantiers, comme à la moisson d’un voisin, avant de demander lui-même de l’aide. Tout le monde participait joyeusement à ces chantiers, des plus jeunes aux plus anciens, les hommes comme les femmes, apportant sa contribution, chacun à sa mesure directement ou indirectement.

Cette pratique a ensuite été popularisée après la seconde mondiale avec les Castors puis beaucoup plus tard par l’association Les Compagnons Bâtisseurs et divers autres  associations comme Botmobil pour les maisons  paille.

Fête de la Batteuse à Meys (FR-69)

Aujourd’hui, internet a changé la donne. Pour auto-construire ou auto-rénover sans aucune compétence et surtout suffisamment de temps pour s’y consacrer, le chantier participatif est une solution idéale : vous proposez votre projet sur un site dédié et des bénévoles se proposent pour venir vous donner un coup de main. Un concept idyllique en soi ! Surtout si vous souhaitez mettre en place un projet écologique avec des techniques qui demandent beaucoup de main d’oeuvre et quelque savoir-faire.

Une solution idéale pour qui souhaiterait organiser un chantier d’enduit à la chaux, de construction d’une maison isolée en paille, du montage d’une ossature bois pour une extension, de la pose d’un bardage extérieur bois ou de la restauration d’un corps complet de ferme, par exemples.

Chêne-Arnoult. chantier participatif pour construire une maison de paille – La sécurité ne semble pas une priorité !

Des plateformes dédiées et des sites d’association proposent ce service et peuvent aller plus loin en proposant une assurance optionnelle pour protéger les bénévoles participants.

En passant par une association les services offerts sont rudimentaires. Les plateformes proposent un peu plus de fonctionnalités  :

Accessoirement, vous pouvez faire appel à un professionnel qualifié si vous ne trouvez pas les bénévoles compétents pour vous assister dans les travaux.

Les avantages d’organiser un chantier participatif

Apprendre en faisant

Rien de mieux que mettre la main à la pâte pour découvrir des techniques plus ou moins éprouvées sur un chantier participatif. Le concept est simple : un coup de main contre du savoir.  Encore faut-il qu’il y ait l’accompagnement d’un professionnel pour valider les réalisations. Car bien qu’on trouve pléthore de vidéos pour s’auto-former à la pose d’un enduit à la chaux, d’une isolation en ouate de cellulose ou de menuiseries, ces tutos sont souvent incomplets et parfois pas vraiment adaptés à votre cas.

Des économies … a priori

Chantier réhabilitation – Scop Amac

Avoir recours à une main d’oeuvre bénévole et volontaire est un bon moyen de faire des économies. Pourtant, dans la suite de l’article, bien qu’au final comptablement cette solution puisse s’avérer avantageuse, si tout se passe pour le mieux, au moindre caillou dans les rouages, la note peut vite exploser. Il est fortement conseillé de prévoir une enveloppe budgétaire supplémentaire pour tous les imprévus dont nous allons vous parler ensuite …

Garder la main sur son chantier

Pour un projet de construction et de réhabilitation, le chantier participatif offre l’intérêt de rester maître de votre projet. Vous suivez pas à pas les étapes des travaux et vous organisez le chantier selon vos prérogatives. Programmer un chantier en été devient un jeu d’enfants : beaucoup de gens prennent leurs vacances pendant cette période et le temps est souvent de la fête. Par contre, vous aurez plus de mal à compter sur des professionnels qui partent aussi en congés à ce moment !

Une démarche qui se veut écologique

Cette pratique est en effet très répandue sur les chantiers intégrant paille ou terre, car ces techniques demandent l’aide de beaucoup de bras. D’ailleurs, si la majorité des chantiers participatifs sont réalisés dans un contexte écologique, ils le sont plus souvent pour réaliser des économies. Ce qui pose parfois le problème de la pertinence de certains travaux, dont le retour sur investissement à moyen et long terme peut s’avérer douteux.

Voyager et rencontrer d’autres personnes

Ce type d’entraide est l’opportunité de découvrir de belles régions et, comme dans tout projet qui se veut solidaire, de faire de belles rencontres. Ces instants conviviaux resteront souvent gravés à jamais dans les mémoires des participants … si l’organisation, les intervenants et la météo ont été de la fête. Ce qui, parfois, n’est pas le cas.

Des aides pour l’auto-réhabilitation

Dans le cadre d’un accompagnement de chantier par un professionnel, certaines régions et associations, aidées par l’Anah, organisent des chantiers participatifs pour rénover des logements de propriétaires en situation précaire.

Cette solution offre l’avantage de faire participer le propriétaire à son propre chantier avec l’encadrement d’un professionnel expérimenté et assisté de quelques stagiaires (qui peuvent être rémunérés). Une bonne occasion de se former à certaines techniques du bâtiment !

Si le chantier participatif présente quelques avantages sur le papier pour séduire les aspirants écologistes et solidaires, cette solution demande un gros travail de préparation pour combler les inconvénients qu’ils suscitent …

Les défauts du chantier solidaire

Les compétences professionnelles des participants

A la lecture des propositions de chantiers participatifs publiés sur l’une des principales plateformes dédiées à cette activité de mise en relation (car c’est bien de cela qu’il s’agit, pas d’organisation, mais simplement de favoriser la mise en relation), il apparaît que l’immense majorité des chantiers le sont sans la participation d’un professionnel.

Il semble évident que beaucoup des propriétaires, bien que pleins de bonne volonté, n’ont aucune connaissance technique pour la réalisation de ce qui est proposé.

On peut alors s’interroger :

La plateforme se désengage de toute responsabilité

Si passer par un service de mise en relation facilite la recherche de bénévoles, la plateforme ne vous garantira :

Et comme le précise une plateforme de mise en relation en chantier participatif : ”Vous reconnaissez que la (plateforme) ne pourra en aucun cas être tenue comme responsable des propos ou agissements des membres. L’authenticité des informations fournies par les membres n’étant pas toujours vérifiée, et parfois invérifiable, il est important que vous preniez certaines précautions lors des événements. Vous reconnaissez être vigilant et reconnaissez que (la plateforme) ne peut être tenue responsable de ce qui peut arriver lors des événements proposés sur le site (conditions d’accueil et de participation, sécurité etc.).

Vous êtes désormais prévenu !

La sécurité est-elle vraiment respectée ?

Comme les chantiers participatifs sont majoritairement organisés entre particuliers, on peut douter donc des compétences en matière de protection des participants :

Ces règles, bien connues des professionnels, par ailleurs, obligatoires sur tout chantier, permettent de limiter les accidents mais malheureusement ne les empêchent pas. Il faut être très vigilant en matière de sécurité.

L’assurance négligée

Jusqu’ici nous n’avons pas connaissance d’accident grave ou mortel sur un chantier (à moins que les affaires aient été étouffées). Pourtant le bâtiment est le 1er secteur à risque d’accident de travail en France, et avec 130 décès sur des chantiers réglementés en 2015, il est primordial de s’inquiéter de s’assurer comme il se doit pour soi-même et les participants.

Le bénévole doit avoir une assurance responsabilité civile qui le couvre vis à vis des tiers d’une part. Si cette assurance peut prendre en charge les accidents via la GAV (Garantie Accident de la Vie), celle-ci ne décharge en aucun cas les responsabilités de l’organisateur. En effet, si celui-ci a négligé la sécurité du chantier et des bénévoles, l’assurance du bénévole se retournera systématiquement sur l’organisateur. Et tout votre avenir peut se jouer en quelques secondes !

Par ailleurs, il ne faut pas oublier qu’un maître d’ouvrage doit obligatoirement s’assurer en garantie dommages-ouvrage pour tous travaux lourds. Or, si c’est le cas pour la majorité des chantiers participatifs, nombre d’assureurs rechignent à couvrir un chantier qui n’est pas accompagné par un professionnel. Et c’est logique, car en cas de malfaçon, contre qui se retourner ?

Une logistique imposante

En dehors de l’assurance, il faudra aussi prévoir ou tout au moins exiger les EPI (Équipements de Protection Individuelle) adéquats et obligatoires pour chacun. Et pour les exiger, le mieux est d’en connaître la nécessité et l’obligation : à nouveau on revient aux compétences professionnelles.

A cela, pensez que, comme, le plus souvent, l’hébergement, et au minimum, les repas sont à votre charge, il vous faut une personne (de la famille ou autre) dédiée à leur préparation. Et là c’est le drame, car les goûts et les régimes alimentaires de chacun seront aussi à prendre en compte avant le démarrage du chantier !

Bien évidemment, l’organisateur devra penser à fournir les outils et les matériaux nécessaires au bon déroulement du chantier et une protection pour faire face aux éléments naturels : point d’eau potable, électricité, coin d’ombre lors de temps chauds, coin chaud lors de temps froids, coin abrité lors de temps humides ou venteux, toilettes, de préférence sèches, lumière, ….

La gestion des déchets de chantier est également un point important à préparer : tri sélectif, conditionnements, ….

Management “keep-cool” !

En plus de l’organisation de la logistique ci-dessus, vous devrez faire face à un autre phénomène, lié au fait que vous avez recours à du bénévolat : la présence des participants/inscrits ! Or, il est rare qu’un chantier participatif se retrouve avec un effectif au complet. Et c’est souvent ce qui va désorganiser le chantier et vous amener à gérer une situation de stress désagréable.

Ensuite, toute la difficulté quand on a un groupe de personnes, dont on ne connaît ni les compétences ni les caractères, est de mettre en place une gestion et une direction de chantier cohérente.

Organiser un chantier n’est déjà pas simple, jouer avec les susceptibilités de chacun(e), ou détecter les capacités à s’adapter et les compétences réelles n’est vraiment pas donné à n’importe qui. Mesurez bien l’importance que vous aurez à gérer le stress d’une telle organisation, surtout si le chantier doit s’articuler autour de plusieurs métiers à la fois.

Des professionnels inquiets de l’ubérisation du métier

Si pour le particulier ce type de plateforme de mise en relation offre de nombreux avantages, pour les professionnels du bâtiment, il n’en est pas de même :  52% estiment qu’elles sont un danger pour la profession. Et ils ont de quoi s’inquiéter quand on sait que plus de 80% de ces chantiers participatifs ont lieu entre particuliers ! La FFB demande ainsi à ce que le gouvernement impose l’encadrement de ces chantiers par des professionnels. Le meilleur moyen de réduire les risques de malfaçon et d’accident !


Avec la meilleure volonté du monde, on ne s’improvise pas si facilement spécialiste de tel ou tel matériau ou technique. Les vrais professionnels savent combien il est difficile d’acquérir tous les savoirs nécessaires à une seule profession, alors de là à se parachuter ainsi responsable bénévole de multiples travaux aussi divers que de la maçonnerie, du travail de la pierre, de la charpente, de la couverture (de la tuile à l’ardoise en passant par les lauzes, les bardeaux ou la chaume), de l’isolation, du carrelage, des enduits, de la pose de parquet, de la pose de menuiseries, de la fabrication et réalisation de peinture, de la plomberie, du chauffage, de la réalisation de chape, du terrassement  …

Le moins qu’on puisse dire est que les professionnels ont peut-être raison de se poser des questions. La seule certitude qu’ils ont c’est qu’en cas de désordre ou malfaçon, c’est à eux qu’il sera fait appel pour rectifier et remettre en ordre … si cela s’avère possible !

Croyez-vous que le chantier participatif est une solution idéale ou la voix vers le désordre du bâtiment ?

Editeur et Rédacteur en chef de Build Green, le média participatif sur l'habitat écologique et pertinent. Passionné par le sujet de l’éco-construction depuis 2010. Également animateur de nombreux réseaux sociaux depuis 2011 et d'une revue de web sur : Scoop.it