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Amizmiz, un oasis bioclimatique dans l’Atlas marocain

Avec l’arrivée de l’électricité et d’internet, et une population composée à 43% de moins de 24 ans (1), le Maroc est animé d’une forte dynamique démographique. Coté « mode constructif », les immeubles populaires comme les résidences touristiques n’échappent pas au système mondialisé. Simples murs en parpaings généralement sans isolation, ouvertures sans système de protection solaire, et climatiseurs réversibles foisonnant.

Le four à bois « beldi » (traditionnel)

Un triste tableau qui pèse aussi bien sur le budget des occupants que sur leur santé, dans un climat Nord Africain lui aussi bouleversé par le changement climatique (sécheresses à répétition, pluies torrentielles).

Pourtant, comme ailleurs, des solutions sont à portée de main et il est urgent de montrer leur efficacité et de les faire connaître.

Vue à l’est sur le moyen atlas

Un cahier des charges à la hauteur des enjeux

A Amizmiz, à 1 h au Sud Ouest de Marrakech, le cahier des charges du domaine du CIDS (Centre International de Développement Soutenable) établi en 2014 était clair :

La salle de réception domine le futur potager

Le lieu est composé d’un bâtiment principal, d’un local technique, d’un atelier d’artiste, d’une salle de cinéma, et depuis 2017 d’un ensemble de 8 studios, d’un amphithéâtre, d’un bassin à filtration biologique et d’un local dédié à la naturopathie. Après 5 ans, retour sur une aventure à la conquête du bioclimatisme.

Faire local : choix humains, choix de matériaux

Dès le début de l’aventure, la dimension locale a été primordiale pour que le projet s’intègre avec harmonie dans ce paysage rural du Moyen Atlas et qu’il soit bien accueilli par les habitants de la région.

Vue d’ensemble avec au centre, la réserve d’eau semi-enterrée

Le recrutement progressif d’une équipe locale (coordinateur de chantier, maçons, divers artisans) a permis de s’assurer que chaque choix technique pouvait rester dans les mains d’acteurs « traditionnels » et non pas réservé à une équipe d’innovateurs en pointe. Le mot d’ordre « faut faire simple, solide et beau ».

Ambiance du jardin

Le choix de la terre comme matériaux de construction s’est imposé comme une évidence : extraite sur place (donc très faible énergie grise), mise en œuvre par des techniques ancestrales, apporteuse d’une forte inertie, et « de la même couleur que le paysage »… Ici, elle a tout pour plaire. Les toitures terrasses sont végétalisées et leur structure est réalisée en cyprès.

Les menuiseries sont réalisées en bois par un artisan local. Seule concession, du ciment pour les éléments parasismiques et pour les dalles chauffantes.

Terre, pierre et bois constituent l’essentiel des matériaux utilisés et proviennent de moins de 10 km du site.

L’inertie au cœur du dispositif

Perché à plus de 1200 m d’altitude, le site est situé dans un zone semi-désertique. Les hivers sont relativement doux et les étés sont très chaud et secs, mais avec des nuits fraîches.

Pour garantir le confort avec des matériaux locaux, la priorité a été donnée à l’inertie. La stratégie : retarder les variations de température et utiliser la ventilation naturelle au maximum.

Pour cela, l’épaisseur des murs en terre a été portée à 70 cm, et aucune baie vitrée n’est positionnée au sud, pour se protéger du soleil.

Avec les toitures végétalisées, on constate que par 40°C à l’extérieur pendant plusieurs jours, la température intérieure n’a jamais dépassé 27°C, sans système de climatisation. Tout cela juste par ouverture des fenêtres équipées de moustiquaires.

Façade ouest du bâtiment principal, avec peu d’ouvertures pour éviter les surchauffes

En hiver, c’est l’inverse, les fenêtres sont ouvertes la journée pour faire entrer la chaleur, et le soir elle est « emprisonnée » dans les murs (2). Un appoint par poêle bois ou par radiateur gaz peut s’avérer nécessaire très ponctuellement pendant les jours les plus froids.

Une autonomie « hybride »

Le cœur du projet, c’est l’eau. Dans une région semi-désertique, l’autonomie hydraulique est clé. Celle-ci est assurée grâce à un forage de grande profondeur (170m) qui puise dans une nappe constituée par le relief en amont. L’essentiel de l’eau pompée est restituée au sol. Le puisage est réalisé par une pompe saharienne de fabrication allemande, capable de fonctionner sur panneaux solaires « au fil du soleil ».

Vue générale avec l’atlas en fond

L’eau puisée est stockée dans un bassin enfoui, réserve permanente de 75 m3 d’eau à 15°C à partir de laquelle tout devient possible.

L’eau est utilisée pour la consommation (après traitement) mais aussi pour les sanitaires, l’arrosage et le bassin à filtration biologique.

Le champ Photovoltaïque est composé de 20 capteurs, qui alimentent deux onduleurs de 3.2 kW pour une puissance totale de 6.4 kW.

L’énergie est stockée par des batteries, et sert à alimenter l’éclairage, l’informatique et l’internet par satellite, le petit électroménager et même la salle de cinéma !

Panneaux photovoltaïques posés au sol pour faciliter leur entretien, mais aussi leur arrosage et bénéficier de l’évapo-transpiration du gazon

Pour les besoins de plus grande puissance et pour permettre l’autonomie complète même en cas de longue période nuageuse, des groupes électrogènes fonctionnant au diesel viennent compléter l’installation.

Aujourd’hui, un centre de conférence pour faire vivre l’expérience aux visiteurs

Ce lieu était initialement pensé comme un démonstrateur à échelle 1, comme un exemple d’habitat occupé et visitable, partageable pour quiconque voulant toucher du doigt cette réalité. Mais l’expérience est allée plus loin car il est désormais en mesure de recevoir des séminaires d’entreprise, des groupes d’étudiants ou encore des groupes de visiteurs enclins à vivre une expérience bioclimatique.

Local technique avec à gauche les batteries, au centre la tête du forage et à droite le traitement de l’eau

Plusieurs grandes entreprises du bâtiment ont déjà tenu des réunions en lien avec les enjeux de la construction bioclimatique et du changement climatique. Cela permet une certaine déconnexion et surtout une expérience vivante pour des décideurs souvent coupés de ces réalités.

Véritable centre de partage du savoir et centre d’expérimentation permanent, ce lieu peut paraître exceptionnel alors qu’il ne fait que mettre en pratique des matériaux et techniques simples et accessibles sur grande partie de la planète.

Plus d’infos

Ecrit par Florent Buffin.

Editeur et Rédacteur en chef de Build Green, le média participatif sur l'habitat écologique et pertinent. Passionné par le sujet de l’éco-construction depuis 2010. Également animateur de nombreux réseaux sociaux depuis 2011 et d'une revue de web sur : Scoop.it